Le Danemark, traditionnellement eurosceptique

Le Danemark ne fait pas exception au sein de la Scandinavie, où le sentiment d'appartenance à l’Union Européenne ne fait pas l’unanimité. Christiansborg(1) n’est déjà pas la porte d’à-côté et les danois considèrent qu’aux yeux de Bruxelles, ils n’existent pas. Alors qu'aujourd'hui il est perçu comme un pays traditionnellement eurosceptique, il s'agit pour nous en quelques lignes de mieux comprendre les principaux ressorts qui sous-tendent les liens entretenus par les Danois avec le processus de construction européenne.

Perspectives historiques et socio-économiques

L’explication à l’apparent euroscepticisme n’est pas directement politique. Elle serait davantage historique(2). Le Danemark est un pays où la bannière rouge à croix blanche flotte massivement au-dessus des toits. La bannière bleue aux douze étoiles n’apparaît pas à un seul endroit. Ce jeune état sous monarchie constitutionnelle n’est pas peu fier de son histoire et de sa culture « mythique ». Ouvertement pro-américain depuis la libération du pays par Montgomery et faute d’avoir pu imposer une union de défense scandinave, il a rejoint l’OTAN.

D’un point de vue économique, le Danemark est certes un petit pays; mais il possède néanmoins un PNB par habitant élevé figurant à la 7e place mondiale. Officiellement, le Groenland est un territoire danois autonome depuis près de 20 ans et c’est le seul espace de cette taille hors-europe a être rattaché au vaste espace de l’Union Européenne. Avec peu de ressources naturelles, il compte surtout sur ses exportations pour assurer son développement (qui comptent pour près de 32% de son PIB, échanges favorisés par sa petite taille, avec essentiellement des produits manufacturés, industrie de la bière, jouets, etc.) ou encore sur ses activités de services bien que son industrie ou son secteur agricole ne soient pas particulièrement en retrait. L’Etat y est très présent, les taxes sont résolument élevées, le système de santé tenu par l’état-providence y est rigoureux et étroitement tenu (financé par la forte imposition), le niveau de vie est important, le système scolaire et universitaire exemplaire… C’est un état libéral, qui voit en l’Europe un partenaire économique. Et un partenaire économique avant toute autre chose. Pourtant, c’est vrai, le Danemark est l’un des deux états-européens avec le Royaume-Uni à avoir obtenu, après un rejet par référendum en 2000, une clause d’opting-out qui lui permet de rester hors de la zone euro aussi longtemps que souhaité.

Facteurs culturels et politiques

Il faut bien dire que l’ensemble des avancées au Danemark en matière d’intégration européenne sont négociées, débattues et conclues par référendum. Et ne nous y trompons pas, une grande majorité de la population danoise est au fait de la vie politique européenne. Toutefois les rejets successifs traduisent non pas une sorte de désamour, mais plutôt un “pourquoi ferions-nous cela?”. La fierté, sans doute, joue t-elle un rôle certain dans cette considération. D’un autre côté, l’Union Européenne manque à faire ses preuves. Culturellement parlant, les Danois ont besoin de se sentir proche du pouvoir, ils ont la sensation que la bureaucratie bruxelloise est lointaine, à l’instar d’une “pseudo-démocratie” tendant d’avantage à la soumission.

Pendant de longues années, la sphère politique danoise a du compter avec des partis ouvertement eurosceptiques comme le Mouvement Populaire contre l’Union européenne (MPUE) (3) ou le Mouvement de Juin (MJ). Le premier, fondé avant même l’adhésion du Danemark aux Communauté Européennes, tendait à obtenir le retrait du pays du « super-Etat » européen. Le second, plus pragmatique, qui nait suite au rejet du traité de Maastricht, s’attache davantage à stopper le processus d’intégration pour des modifications fondamentales. Aujourd’hui néanmoins, ces deux partis ne sont plus véritablement capables de tenir un rang sur la scène médiatique, d’autant plus que leur présence au Parlement Européen s'est considérablement vue réduite.

Un pays nordique avant toute autre chose

Dans le carcan des pays nordiques, l’avancée des uns peut entrainer les autres. Membre du Nordisk Råd, le conseil nordique, le Danemark, comme l’ensemble des états scandinaves, avance en parallèle du processus de construction et d’intégration européenne. Depuis 1952, le conseil met en place des règles qui, antérieures à celles fixées par les traités européens, accordent des statuts spécifiques aux citoyens nordiques (union nordique des passeports pour la libre circulation, conditions de résidence dans les pays scandinaves différentes de celles de l’Union Européenne…). Néanmoins, le conseil nordique n’a jamais vu ses institutions évoluer pour reprendre les prérogatives de la CEE et si certains attributs persistent aujourd’hui avec la véritable prise en compte de citoyens nordiques, il semble peu probable que le conseil puisse approfondir son rôle tant les implications des différents états scandinaves au sein de l’Union Européenne se multiplient.

Les exceptions à la Danoise vis à vis de l'UE

Le Danemark entretien trois exceptions majeures acceptées lors de la décision d'Édimbourg, qui impliquent que le pays peut rester en dehors du développement de l’UE dans certains domaines sans entraver le développement des autres états(4):

  • 1 – La première concerne la troisième phase de l’Union Économique et Monétaire (UEM) et l’introduction de la monnaie unique. Néanmoins, un accord spécial sur les taux de change (MCE-II) rattache la couronne danoise avec l’euro, tandis que le Danemark reste tenu d’observer la seconde phase de l’UEM sur les critères de convergence.
  • 2 – La seconde exception des décisions d'Édimbourg concerne la participation du Danemark au développement de la politique de défense de l’UE (étant profondément partisan de l’approche diplomatique américaine, il n’y prend pas part). Lorsque le pays prend la présidence tournante, il laisse ces questions à d’autres, même si il fait parti des organes liés au maintien de l’ordre et à la planification sans participer à la prise de décision.
  • 3 – Concernant la justice et les affaires intérieures, le Danemark bénéficie d’un droit de réserve qui lui permet de ne pas adopter des actes juridiques (il n’est donc pas tenu de les respecter). Cependant, le Danemark continue de renforcer sa coopération dans le secteur concernant les visas.

Des eurosceptiques prudents?

Que penser de tout cela? Tout d’abord, reconnaissons que les Danois sont de plus en plus résignés à accepter l’Union Européenne, et que l'euroscepticisme -ou tout du moins l'institutionnalisation du phénomène- tend à s’estomper. Depuis quelques années désormais, les universités danoises profitent de leur notoriété pour développer des cursus internationaux avec une culture européenne “à la danoise” et contribuent à leur manière à promouvoir l’Union. Si les études statistiques disponibles tendent à confirmer cette tendance, le Danemark doit être écouté. En imposant le concept d'Europe à deux vitesses, en prônant une Europe moins large, plus respectueuse des spécificités nationales, plus démocratique dans ses liens avec les citoyens et surtout plus transparente, il ne fait que refléter avec véhémence les critiques les plus courantes adressées au mastodonte européen. Le plus petit des états scandinaves dit tout haut ce qui mijote tout bas dans les cercles nationalistes et eurosceptiques les plus virulents des pays moteurs de l’Union Européenne.

Arnaud Porsenna

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Indications chiffrées : Source Eurostat, http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/eurostat/home/

  1. Palais royal sur l'île de Slotsholmen au centre de Copenhague, comprenant le siège du parlement danois, le Folketing, la Cour suprême et le ministère d'État.
  2. Pr. BORRING OLESEN Thorsten - The History of European Integration, (European Integration and Denmark’s Participation. History and Politics), 2010.
  3. http://folkebevaegelsen.dk/
  4. PETERSEN Nikolaj, Le Danemark et l‘Union Européenne, Udenrigsministeriet, 2004.