Du 13 au 26 octobre 2014, une opération visant à démanteler les « organisations criminelles de passeurs » avait été lancée dans les pays de l’espace Schengen ainsi qu’en Suisse, Norvège, Liechtenstein et Irlande (1). L’opération Mos Maiorum, à l’initiative de l’Italie, était une opération de nature intergouvernementale et non communautaire et avait soulevé de nombreuses critiques des associations de défense des droits de l’Homme. (2)

Vendredi 23 janvier 2015, l’association Statewatch dévoilait le bilan de l’opération. En deux semaines, le nombre record de 19 234 personnes ont été arrêtées, contre 10 459 lors de l’opération Perkunas en 2013. (3)

Si le but de Mos Maiorum était de démanteler les réseaux de passeurs grâce aux arrestations de migrants illégaux, il semble que l’opération ait échoué. Médiapart souligne en effet que seul 1,3% des personnes arrêtées sont des passeurs. (4)

Mais le triste constat ne s’arrête pas là. Parmi les migrants illégaux arrêtés durant l’opération, 60% avait demandé l’asile dans le but de voir leur situation régularisée. De plus, la majorité des migrants détenus provenaient de pays en guerre ; notamment plus d’un quart d’entre eux étaient syriens. (5) Dès lors, la position de l’Union Européenne semble totalement incohérente. Elle qui se targuait, le 9 décembre dernier, d’offrir 10 millions d’euros supplémentaires à la Turquie voisine pour venir en aide aux réfugiés syriens (6) s’octroie aujourd’hui le luxe d’éloigner ceux d'entre eux qui entrent sur son territoire. Du moins, si elle ne l’ordonne pas directement, l’UE ferme les yeux sur les actes de ses Etats membres. Rappelons que l’Union Européenne n’accueille à ce jour que 2,5% des 3,5 millions de déplacés syriens, concentrés pour la moitié en Suède et en Allemagne. (7)

L’asile est pourtant entré dans le champ communautaire en 1997 avec le traité d’Amsterdam et le « paquet asile » adopté entre 2011 et 2013 est sensé harmoniser l’accueil et la procédure de demandes d’asile dans tous les Etats membres de l’UE. De plus, des instruments opérationnels ont été mis en place pour aider les Etats membres qui doivent faire face à un grand nombre de demandes d’asile. Le Bureau Européen d’Appui en Matière d’Asile offre des sessions de formations et peut appuyer et soutenir un Etat membre qui se trouve dans cette situation ; des fonds européens, comme le Fond Européen pour les Réfugiés apportent également un soutien financier aux Etats membres qui accueillent le plus de demandeurs d’asile. Cependant, les termes des directives adoptées par le parlement européen sont restés floues face au désir des Etats membres de garder la main sur la gestion des demandes d’asile et aucun mécanisme de contrôle n’a été mis en place par l’Union Européenne pour vérifier le respect de ces mêmes directives.

Comme le déclarait Caroline Intrand, chargée des opérations européennes au CIRé (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers) à la radio belge RTBF, on laisse planer sur l’Europe la crainte d’une "menace migratoire". (2) Crainte que l’on observe concrètement par la construction d’un mur à la frontière turco-bulgare. (8)

1/ Euronews, le 13 octobre 2014. http://fr.euronews.com/2014/10/13/schengen-debut-de-mos-maiorum-operation-anti-sans-papiers-controverse/

2/ RTBF, le 27 octobre 2014. http://www.rtbf.be/info/monde/detail_fin-de-mos-maiorum-une-operation-policiere-europeenne-tres-critiquee?id=8388085

3/ Statewatch, le 23 janvier 2015. http://statewatch.org/news/2015/jan/mm-final-report.html

4/ Médiapart, le 25 janvier 2015. http://blogs.mediapart.fr/blog/fini-de-rire/250115/1-cest-le-rendement-de-la-chasse-europeenne-aux-passeurs-de-migrants

5/ El Diario, le 23 janvier 2015. http://www.eldiario.es/desalambre/Cerca-inmigrantes-operacion-Mos-Maiorum_0_348915517.html

6/ Service Européen pour l’Action Extérieure, le 9 décembre 2014. http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-2500_en.htm

7/ L’humanité, le 6 janvier 2015. http://www.humanite.fr/le-naufrage-humanitaire-de-leurope-561790

8/ France 24, le 30 décembre 2014. http://www.france24.com/fr/20141230-bulgarie-turquie-mur-anti-migrant-immigration-clandestine-syriens-refugies-guerre-cloture-barbeles-europe/