Les discussions enflammées autour de la maintenant fameuse lettre du ministre français des Finances, Michel Sapin adressée en anglais au commissaire européen chargé des Affaires économiques et monétaires, Pierre Moscovici, français lui aussi, ne faisaient que soulever une nouvelle fois la question de la diversité linguistique au sein des institutions européennes. Au-delà de la dimension culturelle de l'affaire, les usages linguistiques des représentants de l'UE ont des importantes répercussions tant concernant l'efficacité de la communication interne que celle avec les citoyens européens. Selon une analyse publiée en 2013 par l’Assemblée des fonctionnaires francophones des organisations internationales, « sur 30 sites analysés, 21 sont ou peuvent être considérés comme anglophones, 5 montrent une diversité privilégiant clairement l’expression en anglais et 4 peuvent être considérés comme véritablement diversifiés ». Un communiqué plus ancien de l’Observatoire de la langue française montrait qu’en 2008 sur les 53 principaux sites internet de l’UE, 27 sont disponible uniquement en anglais et seulement 11% des sites proposaient les publications dans les 23 langues officielles.

Même si les langues de travail des institutions européennes sont l’anglais, le français et l’allemand, l’anglais est largement majoritaire. Le Ministère français de la Culture et de la Communication a publié en 2015 un rapport sur les usages de la langue française. Si en 1996 les documents de la Commission européenne rédigés en français étaient à 38%, en 2014 ils sont à 5% face à 81% en anglais. Par ailleurs, l’Organisation internationale de la francophonie montre qu’entre 2009 et 2013, le débat au sein du Parlement européen a été mené en anglais pendant 450 heures contre 200 heures en allemand et 150 heures en français.

En 2009, le Sénat français a fait une Proposition de résolution sur le respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions européennes. Les idées présentées dans le rapport de la séance sont toujours d’actualité et très parlantes pour les enjeux de la diversité linguistique au sein de l’UE : « Les citoyens européens ne pourront, en effet, jamais véritablement adhérer et participer activement au projet de l'Union européenne s'ils ne sont pas tous en mesure de se l'approprier dans leur propre langue. Il n'est sans doute pas inutile de le rappeler : le déficit démocratique régulièrement reproché à la Communauté tient en grande partie au sentiment des citoyens d'être trop souvent exclus d'un processus décisionnel communautaire à caractère essentiellement bureaucratique ou limité aux seules enceintes intergouvernementales ».

Les derniers évènements - crise migratoire, montée des mouvements extrémistes et du racisme, affaiblissement de la cohésion européenne - ont tous soulevé la question du sentiment d’appartenance à l’Union européenne. Même si les langues font preuve de l’existence des divers peuples dans le monde, la prise de conscience concernant l’importance de la langue dans les enjeux politiques et géopolitiques, économiques et sociaux, culturels et éducatifs, reste limitée. L’accès au droit européen et l’assurance d’une gouvernance européenne basée sur la transparence démocratique passent par le respect de la diversité linguistique. D’autant plus important, la citoyenneté active dans un contexte européen est inextricablement liée au droit de s’informer et de s’exprimer librement.

Ressources :

Antoine Krempf, "La moitié des sites internet de l'UE sont en anglais seulement" ?, France info, 02.06.2015, Disponible en ligne http://www.franceinfo.fr/emission/le-vrai-du-faux/2014-2015/la-moitie-des-sites-internet-de-la-commission-europeenne-ne-sont-qu-en-anglais-02-06-2015-07, Consulté le 22.01.2016

L'Organisation internationale de la francophonie, 4e Document de suivi du Vade-mecum relatif à l’usage de la langue française dans les organisations internationales, octobre 2014, Disponible en ligne http://www.francophonie.org/RapportObs/SuiviVademecum4/sources/, Consulté le 22.01.2016

Sénat français, Proposition de résolution sur le respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions européennes, séance du 11 mars 2009, Disponible en ligne http://www.senat.fr/rap/l08-258/l08-2580.html, Consulté le 22.01.2016

Jean Quatremer, Le monolinguisme anglophone, une mauvaise action contre l’Europe, Coulisses de Bruxelles, 03.04.2015, Disponible en ligne http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2015/04/01/le-monolinguisme-anglophone-une-mauvaise-action-contre-leurope/, Consulté le 22.01.2016

Ministère français de la Culture et de la Communication, Chiffres es données clés sur la langue française, 15.01.2016, Disponible en ligne http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Langue-francaise-et-langues-de-France/Actualites/Chiffres-et-donnees-cles-sur-la-langue-francaise-20152, Consulté le 22.01.2016