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Lors de notre rendez-vous chez Frontex à Varsovie, Izabella Cooper, la porte-parole de l’agence européenne, nous soulignait que l’enjeu de contrôler la frontière entre la Pologne et l’Ukraine était important pour cause de grands trafics de voitures volées qui s’y déroulent quotidiennement. Afin de lutter contre ces trafics, l’agence européenne Frontex déploie les grands moyens et permet aux gardes-frontières polonais de bénéficier d'entraînements et de formations spécifiques pour empêcher ces trafics de franchir les frontières polonaises et donc de l’espace Schengen.

Cependant, le problème se trouve aussi ailleurs. Depuis l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne (UE) en 2004, des milliers d’ukrainiens franchissent (plus ou moins) clandestinement la frontière polonaise. La Pologne et l’Ukraine partagent une frontière terrestre de 535 km, ce qui rend son contrôle d’autant plus difficile. La situation est devenue si ingérable que c’est à cette frontière même que Frontex a testé ses premiers barbelés, ses premières caméras infra-rouge et tous les autres moyens de surveillance contre ces flux migratoires de clandestins tentant de pénétrer dans Schengen. Depuis le déclenchement de la crise en Ukraine fin 2013, la Pologne est devenue la destination de premier choix pour les réfugiés ukrainiens. Plus de 28 000 requêtes de permis de séjour et 2300 demandes de statuts de réfugié ont été déposées en 2014. Néanmoins, mis à part le besoin de protéger la frontière extérieure polonaise avec l’Ukraine et de renforcer son contrôle, il serait intéressant de se questionner sur le type de relations actuelles qui existe entre les deux pays et les enjeux qui s’en dégagent, dans le contexte de la crise ukrainienne actuelle.

Cette crise a eu des conséquences des deux côtés de la frontière, mais surtout au niveau économique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la Pologne avait déjà très peu de liens commerciaux avec l’Ukraine avant le début de la crise. Aujourd’hui, ils sont encore plus faibles. En effet, les exportations vers l’Ukraine ont baissé de 10% en 2014 plaçant le pays à la 8ème position en tant que partenaire de la Pologne, et 21ème en matière d’importation. En 2016, le défi serait de faire évoluer cette situation. Concernant l’arrivée de réfugiés ukrainiens, la Pologne fait face à un afflux de migrants important pour un pays qui n'est plus habitué à un tel enjeu depuis la Seconde Guerre Mondiale. Ainsi, si la situation de crise devait s’embraser à nouveau aujourd’hui, cela représenterait un flux supplémentaire d'individus traversant la frontière, ce qui pourrait être un facteur de déstabilisation de l'économie polonaise, actuellement en plein essor. Cependant, des experts polonais affirment que si une telle situation devait se reproduire, elle représenterait sans doute une certaine opportunité pour la Pologne, qui pourrait ainsi pallier le vieillissement de sa population et le recul de la natalité.

Malgré tout, la Pologne ne s’est pas résolue à laisser tomber l’Ukraine en dépit des conflits, car il est évident que tout ce qui déstabilise cet immense voisin ukrainien touche directement les polonais, et à plus forte raison lorsque ce sont les russes qui sont à la source de ces tensions. La Pologne et l’Ukraine savent l’importance que représentent leurs relations, tout particulièrement sur les plans de la politique tant intérieure qu’extérieure. L’Ukraine est une des priorités de la politique étrangère polonaise, et cela ne fait que se renforcer. Dès le début de la crise fin 2013, la Pologne s’est impliquée dans les événements et a œuvré, que ce soit sur le territoire ukrainien ou sur la scène internationale, pour la cause ukrainienne. Entre son soutien aux manifestations de la place Maïdan en décembre 2013 et l’appel à des sanctions vis-à-vis de la Russie, la Pologne prend une part active à la défense de son allié ukrainien.

Le pays témoigne donc sa solidarité et son soutien à l’Ukraine, mais approfondi surtout ses relations bilatérales avec Kiev, la capitale ukrainienne. La Pologne le fait pour plusieurs raisons, dont une qui lui tient particulièrement à cœur. Une minorité polonaise existe en Ukraine et représente 0,3% de la population totale soit 144 000 individus, ce qui confère à la Pologne une responsabilité plus intense dans la sauvegarde du patrimoine, de la culture et des liens entre les populations polonaise et ukrainienne. Le type de relations qui lient ces deux pays peuvent alors se qualifier de relations amicales voire même fraternelles, découlant du partenariat stratégique établi entre eux à la chute de l’URSS. La Pologne a non seulement été le premier pays à avoir reconnu l’indépendance de l’Ukraine en 1991, mais est aujourd’hui le premier à plaider la cause ukrainienne auprès des pays occidentaux. Elle est devenue avec les années un « pont » entre l’Ukraine et l’UE, et l’est d’autant plus aujourd’hui, ce qui permet de faciliter considérablement le rapprochement UE-Ukraine tout en essayant de l’éloigner de l’emprise russe. Néanmoins, la Pologne reste prudente car sa solidarité avec l’Ukraine expose le pays aux éventuelles menaces venant des russes. Varsovie a ainsi prévu d’augmenter ses dépenses militaires à hauteur de 42 milliards d’euros sur les dix prochaines années afin de programmer des formations militaires pour tout citoyen polonais volontaire. De plus, de chaque côté des frontières ukrainiennes ou polonaises, les troupes de l’OTAN sont en alerte maximale.

Dans ce contexte de crise, l’Ukraine espère alors voir une aide diplomatique, structurelle et surtout économique durable émanant de la Pologne. De plus, les responsables ukrainiens voudraient se baser sur l’expérience polonaise pour réaliser la transformation politique et économique nécessaire en Ukraine. Ils voudraient s’inspirer de leur voisin membre de l’UE pour mettre en place plusieurs réformes, en particulier dans le domaine de la décentralisation et de la réforme territoriale. L’Ukraine demande donc un partage d’expériences et de conseils. Les polonais, quant à eux, voient en l’Ukraine un enjeu stratégique et continuent à croire en la méthode européenne, en sanctionnant les russes d’un côté et en signant des accords entre Kiev et l’UE de l’autre côté. Le plus important pour la Pologne aujourd’hui est de stabiliser l’Ukraine et maintenir des relations de confiance avec le pays afin de ne pas provoquer de graves répercussions pour la stabilité polonaise.

Catherine Urban


Sources :

Izabella Cooper. (02.03.2016). Rencontre-débat avec les étudiants du master EEI « Projets européens », Varsovie.

Antoine Renaux. (26.03.2015). Crise ukrainienne : la Pologne se prépare au pire des scénarios. Récupéré sur Le Journal International: http://www.lejournalinternational.fr/Crise-ukrainienne-la-Pologne-se-prepare-au-pire-des-scenarios_a2489.html

Edyta Skóra. (16.04.2015). Géopolitique - Pologne: La grande oubliée du conflit en Ukraine . Récupéré sur Revue Regard sur l'Est: http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=1600

Georges Mink. (16.03.2014). Maidan, l’Ukraine rêvée de la Pologne. Récupéré sur Libération.fr: http://www.liberation.fr/planete/2014/03/16/maidan-l-ukraine-revee-de-la-pologne_987538