On aurait tendance à penser que la Pologne et la Russie, notamment pour des raisons historiques, sont des nations ennemies éternelles par défaut. Dans le contexte des partages de la Pologne auxquels la Russie a participé ainsi qu’une époque pas si lointaine, souvent caractérisée par ailleurs comme « dévastatrice », un tel raisonnement ne serait pas dénué de sens. Rappelons-nous également les événements qui se sont produits avant, pendant et après la rencontre entre les deux pays lors du championnat d’Europe de football 2012 en Pologne.

Cependant, notre séjour en Pologne a ouvert de nouvelles voies de réflexion sur le sujet. Aussi étrange que cela puisse paraître, un petit territoire géographiquement coupé de la mère patrie, semble disposer du pouvoir de réconciliation – oblast Kaliningrad. Les événements récents, ayant plus ou moins mis les relations entre l’Union européenne et la Russie dans une impasse, nous permettent d’aller encore plus loin en considérant que Kaliningrad pourrait jouer un rôle beaucoup plus significatif entre les deux puissances. A cet égard, nous allons nous pencher dans une réflexion consacrée à la coopération transfrontalière entre cette enclave russe et le nord de la Pologne en passant tout d’abord par certains éléments indispensables quant à la bonne compréhension des enjeux.

Tout d’abord, nous devons souligner qu’oblast Kaliningrad occupait (au passé bien que le présent ne soit pas différent) une place importante dans le débat de sécurité au sein de la société russe. Ainsi, les géopoliticiens voyaient Kaliningrad et la mer Baltique comme une manifestation de la rivalité géopolitique éternelle entre la Russie et l’Occident, en considérant que l’enclave aurait dû conserver son infrastructure militaire, largement détruite après 1989. Contrairement à eux, les « globalistes » avaient tendance à penser que la globalisation et la régionalisation sont des processus auxquels la Russie ne pourrait pas échapper. En considérant ces deux courants comme entrecroisés, ces intellectuels défendaient la thèse selon laquelle une coopération avec les pays de la région devrait être une priorité pour la politique étrangère russe. En effet, depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, ce mouvement a en quelque sorte prévalu sur les autres, permettant de ce fait le développement des relations bilatérales en matière de coopération transfrontalière.

Concentrons-nous maintenant sur la Pologne. Tout d’abord, il faudrait souligner que Varsovie n’a aucune revendication envers Kaliningrad, le gouvernement polonais reconnaissant les droits de la Fédération russe sur cette enclave. Cependant, lors de ces derniers 20 ans, plusieurs problèmes sont survenus liés à la coopération transfrontalière entre Kaliningrad et la voïvodie de Varmie-Mazurie. Citons, à titre d’exemple, l’idée de construire un corridor transnational de Biélorussie à Kaliningrad passant par la Pologne, une initiative qui a suscité de nombreuses réactions négatives à l’époque.

L’adhésion de la Pologne à l’Union européenne a radicalement changé la situation. Les fonds européens de cohésion dans la région ont atteint le chiffre impressionnant de 4,8 millions d’euros en seulement quelques années, ayant entre autres permis le développement du tourisme et la modernisation de l’infrastructure. La coopération transfrontalière s’est poursuivie avec le programme ENPI « Lituanie-Russie-Pologne 2007-2013 » dont les résultats, 60 projets d’une enveloppe totale de 100 millions d’euros témoignent de l’engagement de chaque partie. Dans ce sens, il ne faut pas oublier l’accord intergouvernemental russo-polonais sur le petit trafic frontalier aux frontières terrestres extérieures, signé le 14 décembre 2011 avec le soutien politique de l’Union européenne. Cet accord a été un vrai succès dans les sphères sociale, économique et culturelle puisqu’il a contribué à la renaissance du trafic des deux côtés de la frontière, ayant perdu son intensité depuis l’entrée en vigueur des accords de Schengen (pour la Pologne).

L’analyse de la nouvelle stratégie de coopération transfrontalière (d’ici 2030) de Kaliningrad montre que la Pologne y occupe une place extrêmement importante. Plusieurs secteurs sont mentionnés dont notamment l’industrie, l’agriculture, le tourisme, la protection de l’environnement, l’infrastructure. Dernier point, mais pas le moindre - le développement du transport fluvial et notamment la voie fluviale Gdansk-Elblag-Kaliningrad-Klaipėda. Un projet ambitieux dont la réalisation permettrait une vraie relance des routes internationales de commerce dans la mer Baltique, allant même jusqu’à la capitale lituanienne Riga.

Pour toutes ces raisons nous sommes enclins à penser que la coopération transfrontalière entre la voïvodie de Varmie-Mazurie et Kaliningrad va strictement dans le bon sens. Nous l’avons également vu lors de notre rencontre avec « The Center of European Projects » à Varsovie. Cependant, comme chaque interaction au niveau international, celle-ci est aussi soumise aux règles du jeu politique qui sont tout mais pas une constante. Très souvent, les tensions entre Moscou et Varsovie ont un effet négatif au niveau local qui s’exprime par une augmentation des contrôles à la frontière par exemple. Ainsi, le rattachement de la Crimée à la Russie a provoqué une vraie crise entre les deux pays ayant donné suite aux entraves (bien qu’informelles) imposées aux compagnies de transport polonaises à Kaliningrad.

Pour conclure, il paraît que l’existence elle-même de Kaliningrad a suscité un certain paradoxe. Alors que la nouvelle situation en Europe après 1989 a isolé cet oblast de la mère patrie, la conjoncture politique a facilité son contact avec le monde extérieur. La coopération transfrontalière avec les régions polonaises et notamment celle de Varmie-Mazurie a certainement eu un impact de réconciliation positif. Néanmoins, il semblerait qu’elle n’ait pas encore joué un rôle décisif dans cette direction, à en juger notamment par les hauts et les bas des relations dans ce triangle Varsovie-Moscou-Bruxelles. Cette coopération transfrontalière a un potentiel énorme qui doit être utilisé de façon plus constructive dans les années à venir.

Sources utilisées:

http://geoinfo.amu.edu.pl/qg/archives/2010/QG294-075-82_Palmowski.pdf http://geoinfo.amu.edu.pl/qg/archives/2014/QG332_079-086.pdf https://journals.kantiana.ru/upload/iblock/44a/%C5%BB%C4%99gota%20K._88-99.pdf http://www.gwu.edu/~ieresgwu/assets/docs/ponars/pm_0172.pdf http://www.ui.se/eng/upl/files/111799.pdf https://journals.kantiana.ru/upload/iblock/773/Plyukhin%20M..pdf http://www.kgrr.univ.gda.pl/regiony19.pdf https://src-h.slav.hokudai.ac.jp/coe21/publish/no15_ses/05_sergunin.pdf