Un contexte particulier et grave

Le choix du Conseil de l’Europe par le président français pour son discours mardi 11 octobre n’est pas anodin. La plus ancienne organisation européenne créée par le traité de Londres en 1949 et distincte de l’Union Européenne, a comme objectif de promouvoir les valeurs de démocratie et des droits de l’homme, en cherchant notamment des solutions communes aux problèmes de société. On comprend mieux la symbolique d’un tel endroit dans un contexte que le président estime « particulier et grave » face aux problèmes de crise des réfugiés et de guerre syrienne, de menaces terroristes et de récent Brexit mettant en péril l’unité européenne. Le président souhaite ainsi rappeler les valeurs que porte le Conseil de l’Europe « qui doivent encore nous inspirer » proclame-t-il. L’organisation n’avait en outre pas reçu de visite d’un président français depuis 1997.



La question des réfugiés

Un des points majeurs du discours concernait le problème des réfugiés et la manière dont les pays européens avaient géré la crise jusqu’ici. La question a mis à jour de nombreuses oppositions au sein de la communauté depuis plusieurs mois. Des pays refusent catégoriquement la répartition des efforts d’accueil en Autriche, Hongrie et Pologne tandis que dans les autres, l’effort souffre de lenteurs manifestes. Sur les 160 000 relocalisations que le plan prévoyait dans un délai de 2 ans à partir de juillet 2015 (réduit à un peu moins de 100 000 suite à l’accord migratoire avec Ankara et pour un nombre de demande d’asile de 1,25 millions en 2015), un total de seulement 5651 dossiers avaient été traités à la date du 28 septembre selon un rapport de la Commission.

Le président a soutenu que la France avait pris des engagements et qu’elle les respecterait en accueillant 30 000 réfugiés venant de Grèce, d’Italie et de Turquie d’ici 2017. Ayant relocalisé le plus de réfugiés en un an, soit 1952 personnes, la France devra néanmoins radicalement accélérer le rythme si elle veut tenir son engagement, également conditionné par le changement de gouvernement probable en 2017.

Un raté pour le président concernant le démantèlement de la « jungle de calais »

Seulement trois jours après l’assurance de son démantèlement sous forme d’ « opération humanitaire » comme il l’a précisé dans son discours à l’institution européenne des droits de l’homme, un rapport du représentant spécial du Secrétaire Général sur les migrations et les réfugiés, Tomas Boček fait un constat préoccupant du plan de démantèlement. Suite à une mission sur place les 12 et 13 octobre, son rapport fait état d’un manque notoire de précisions : « les autorités n’ont pas été en mesure de me donner des détails précis sur ce qui est envisagé ni sur les modalités de démantèlement du camp ». Ainsi, il n’y aurait pas de chiffres précis connus en matière de recensement des réfugiés du camp et du total des places disponibles. Par ailleurs, l’assurance n’aurait pas été donnée que les réfugiés soient transférés dans des établissements d’accueil adaptés à long terme et nombre d’entre eux, secondés par les ONG, resteraient sceptiques quant à la promesse du gouvernement de suspendre des renvois effectués dans le cadre du Règlement de Dublin (renvoi dans le premier pays d’entrée dans l’UE) alors qu’une promesse analogue n’avait pas été tenue par toutes les préfectures lors du démantèlement de la zone sud du camp.

Un désaccord majeur

Le président a également pris position concernant l’attitude de la Russie sur plusieurs dossiers sensibles. Alors que l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe avait voté la suspension des droits de vote des représentants russes après l’annexion de la Crimée en 2014, l’escalade des désaccords diplomatiques semble se poursuivre.

Après avoir appelé à l’accélération de progrès jugés trop lents en Ukraine suite aux accords de Minsk, c’est sur le dossier syrien que François Hollande a exprimé son « désaccord majeur » avec Vladimir Poutine. Après l’opposition du véto russe quelques jours plus tôt, samedi 8 octobre au Conseil de Sécurité de l’ONU, à la proposition française de cessation des bombardements sur Alep (suivie d’une contre-proposition russe de cessation des hostilités sans l’arrêt des bombardements, rejetée), le président appelle à un dialogue « ferme et franc » avec la Russie afin que le dialogue pour la recherche de la paix persiste.

C’est dans cette optique que le gouvernement français avait d’ailleurs souhaité changer le programme de la visite en France de Vladimir Poutine originalement prévue dans le cadre de l’inauguration d’un centre spirituel et culturel orthodoxe. Dans ce contexte, une visite courtoise du président russe paraissait inappropriée, « si je le reçois, ce sera pour lui dire que c’est inacceptable » confiait François Hollande à TMC le même week-end. La réponse de Poutine a été tout aussi radicale, annulant son voyage face à une proposition humiliante pour un président cherchant à peser de manière centrale sur la scène internationale.

Le jour suivant, c’était au tour du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Nils Muižnieks d’annuler sa visite à Moscou pour cause de « restrictions inacceptables que les autorités russes voulaient imposer à mon programme » peut-on lire dans le communiqué officiel. Les visites du Conseil de l’Europe auprès de ses membres et partenaires (La Russie fait partie du Conseil de l’Europe depuis 1996) se font sur la base d’un traitement égal des enquêtes sur les droits de l’homme auprès de chaque pays et « les conditions spéciales exigées par les autorités russes auraient été inéquitables sur le plan des principes et inefficaces sur celui de la protection des droits de l’homme dans la Fédération de Russie » explique le Commissaire.

Cette escalade diplomatique sous forme de réminiscence de guerre froide n’augure aucune nouvelle solution rapide alors que le bilan humain en Syrie se compte en centaine de milliers de morts et en millions de réfugiés. L'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie Staffan de Mistura prévenait d’ailleurs début octobre que les quartiers rebelles d'Alep risquaient d'être «totalement détruits » d'ici à la fin de l'année si les bombardements continuaient à ce rythme. La réunion à Lausanne samedi 15 octobre entre Washington et Moscou alors que le dialogue entre les deux puissances avait été suspendu quelques semaines plus tôt s’est également terminée sans avancées concrètes.

Sources :

Vidéo du discours de François Hollande au Conseil de l’Europe le 11 octobre 2016 http://www.elysee.fr/videos/discours-au-conseil-de-l-europe/

Rapport de la Commission européenne du 28 septembre 2016 sur l’avancée dans le domaine de la gestion des migrations et des frontières, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-3183_fr.htm

Rapport du 12 octobre 2016 de l’ambassadeur Tomáš Boček sur la mission d’information sur la situation des migrants et réfugiés à Calais, https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016806ae61f

Communiqué du 11 octobre 2016 du Commissaire aux droits de l’homme Nils Muižnieks sur l’annulation de sa visite en Russie https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/vv

Le Monde, Article d’Isabelle Mandraud et Marc Semo du 11 octobre 2016 http://www.lemonde.fr/international/article/2016/10/11/l-elysee-annonce-que-m-poutine-souhaite-reporter-sa-visite-a-paris_5011677_3210.html

Euractiv.fr, article de James Crisp du 30 septembre 2016 https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/eu-likely-to-break-refugee-promise-one-year-after-vowing-to-relocate-160000/

rfi.fr, article de Jean-Christophe Bott (Reuters)du 15 octobre 2016 http://www.rfi.fr/moyen-orient/20161015-syrie-rencontre-kerry-lavrov-americain-pourparlers-reunion-lausanne-suisse

Le Point.fr, Article de l’AFP du 7 octobre 2016 http://www.lepoint.fr/monde/syrie-alep-est-pourrait-etre-totalement-detruite-d-ici-la-fin-de-l-annee-06-10-2016-2074070_24.php