Bandiera_del_Veneto_e_della_Lega_Nord.jpg En haut le drapeau de la région Vénétie ; en bas, celui de la Ligue du Nord avec sa dévise : « le nord d’abord ! »

La Vénétie s’est dotée d’une loi visant à protéger les droits du peuple vénitien, «minorité nationale» dotée d’un idiome propre, le «dialecte vénitien». Cette loi s’inspire du modèle du Tyrol du Sud, officiellement bilingue par la présence d’une majorité germanophone, et bénéficiant d’un statut administratif autonome. Les enjeux de cette disposition concernent donc aussi bien la question linguistique, que des aspects économiques, politiques, sociaux et administratifs. A l’origine de cette proposition, M. Loris Palmerini, président de l’Institut Langue Vénitienne, avec le soutien de la Ligue du Nord (LN). Ce parti, aujourd’hui majoritaire au Conseil régional, se caractérisait à sa naissance en 1989 comme courant indépendantiste de la Padanie; depuis, sa position s’est progressivement mitigée en autonomiste. La LN voit cette nouvelle loi comme une étape importante vers la réalisation de l’autonomie de la Vénétie: son but est d’obtenir pour les Vénitiens les mêmes droits réservés au Tyrol du Sud, qui reçoit de l’Etat des ressources pour protéger les minorités de langue allemande, ladine et cimbre.

Cette loi régionale s’appuie sur la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (FCNM) du Conseil de l’Europe, entrée en vigueur en 1998. Cette Convention garantit une protection juridique aux minorités nationales, en leur assurant une égalité effective et des conditions favorables à développer leur culture et à préserver leur identité. La FCNM couvre la totalité des domaines de la vie publique, comme la liberté de réunion et d'association, la liberté d'expression et de religion; la FCNM inclut également des libertés linguistiques, notamment l'accès aux médias dans la langue minoritaire, ainsi que l'éducation de et dans la langue minoritaire, et son usage dans l’administration.

L’approbation de cette loi par le Conseil régional a suscité des protestations de l’opposition de centre-gauche et du Mouvement 5 Etoiles. L’objection la plus évidente c’est qu’il n’existe pas en Vénétie un seul dialecte, mais de nombreuses variations en fonction de la province, voire même à l’intérieur des provinces. Par ailleurs, l’opposition ne reconnaît pas les Vénitiens comme minorité nationale, et pour cela la Cour constitutionnelle a été interpellée. Il y a deux particularités juridiques à considérer: tout d’abord, la formulation du concept de «minorité nationale» dans la FCNM est assez vague, car il n'existe pas de définition générale approuvée par l'ensemble des Etats membres du Conseil de l'Europe. Ainsi, chaque Etat établit quels groupes sont concernés par la Convention-cadre sur son territoire. Ce choix doit être pris de «bonne foi», et «conformément aux principes généraux du droit international». Parmi ceux-ci vaut surtout le «droit de libre identification» garanti par l'article 3 de la FCNM, qui énonce que cette disposition tient à un choix libre et individuel. Toutefois, la décision d’être traité comme appartenant à une minorité nationale n’est pas arbitraire, mais «doit se fonder sur des critères objectifs liés à l’identité, tels que la langue, la religion, les traditions et le patrimoine culturel».

Ces critères correspondent-ils aux Vénitiens? L’Histoire moderne de l’Italie nous apprend que, avant l’Unification de la péninsule en 1861, il n’y avait sur le territoire qu’une juxtaposition d’Etats, règnes et duchés ayant des «langues» propres, parfois incompréhensibles entre elles, dont l’héritage est aujourd’hui l’extrême variété des dialectes et des langues régionales d’Italie. D’ici à affirmer que le «peuple vénitien» est une minorité nationale, le pas est probablement trop long. Car cela impliquerait que chacune des 20 régions italiennes pourrait, au nom de ses spécificités culturelles et linguistiques, revendiquer ce statut: un scénario impensable, mais qui montre comment au fond des esprits, l’Italie reste une construction «artificielle», où les divergences nord-sud, mais souvent aussi celles à la même latitude, minent le sentiment d’appartenance collectif. Lorsque la Cour constitutionnelle s’exprimera à ce sujet, on saura si la libre identification des Vénitiens comme minorité nationale est effectivement fondée sur la mauvaise foi, et motivée par la volonté d’obtenir des avantages particuliers, comme soutiennent les oppositions.

Sources :

La Stampa, 4 décembre 2016, http://www.lastampa.it/2016/12/06/italia/politica/il-veneto-vota-per-la-minoranza-linguistica-cartelli-bilingue-e-insegnamento-del-dialetto-z5Xc7j0jQSBxaTxEqpPrCN/pagina.html
Corriere del Veneto, 4 décembre 2016, http://corrieredelveneto.corriere.it/veneto/notizie/politica/2016/6-dicembre-2016/veneto-minoranza-linguistica-c-l-ok-consiglio-regionale--2401113060446.shtml
Fiche d'information FCNM du Conseil de l’Europe, http://www.coe.int/fr/web/minorities/fcnm-factsheet
Commentaire thématique no 4: Le champ d’application de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, http://www.coe.int/fr/web/minorities/fcnm-factsheet