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Lulu et Nana

Le scientifique chinois He Jiankui a déclaré avoir utilisé la méthode Crispr-Cas9 dans le but de modifier génétiquement les embryons des jumelles surnommées Lulu et Nana. A l’occasion du Sommet international sur l’édition du génome humain de Hong Kong, il est venu présenter ses travaux à ses homologues venus du monde entier. Le but recherché dans ses modifications génétiques est de rendre les futurs bébés immunisés au virus de l’immunodéficience humaine (VIH) responsable du SIDA, le père des embryons étant séropositif. Par l’intermédiaire de la technologie CRISPR, autrement appelée technique des « ciseaux génétiques » il a pu sectionner une partie du génome des embryons pour la remplacer ; il a ainsi remplacé le gène CCR5 par un gène immunisé contre le VIH. Le docteur He Jiankui justifie ses expériences en disant que le but n’est pas d’obtenir des bébés sur-mesure mais de les protéger d’une maladie qui peut être mortelle. En d’autres termes, on pourrait comparer cette modification à un vaccin génétique transmissible d’une génération à l’autre.

La réponse du Conseil de l’Europe

A l’occasion du second Sommet international sur la modification du génome humain qui se tenait du 27 au 29 novembre, le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe a réaffirmé ses positions vis-à-vis des modifications génétiques, suite à la naissance des jumelles du professeur He Jiankui. Ainsi, le Comité exprime son soutien aux progrès médicaux et aux prouesses technologiques qui peuvent considérablement améliorer la santé. Cependant, il rappelle que « l’éthique et les droits de l’homme doivent guider toute utilisation des technologies de modification du génome chez les êtres humains ». Il émet par conséquent une réserve quant aux excès qui pourraient être fait en matière de modification génétique de gamètes ou d’embryons humains. Ces méthodes posent toujours aujourd'hui de nombreux problèmes éthiques, moraux et culturels. Le Comité de bioéthique cherche à donner des réponses à ces questions qui sont encore très controversées et rappelle le caractère contraignant de la Convention d’Oviedo de 1997 qui fournit le seul cadre juridique aux recherches biomédicales. Par ailleurs, le 4 décembre, la Commission des questions sociales de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté à l’unanimité une déclaration concernant l’« interdiction des grossesses induites à partir de cellules germinales ou d’embryons humains dont le génome a été modifié de manière intentionnelle ». La déclaration rappelle à la communauté scientifique que les modifications du génome humain ne sont pas sûres et qu’elles constituent une violation de la norme éthique internationale et du consensus scientifique sur ce sujet.

Un débat houleux

La naissance des premiers bébés génétiquement modifiés a provoqué de vives réactions à la fois dans le monde scientifique et dans le monde politique international. Certains médecins et scientifiques considèrent que la modification génétique peut avoir des conséquences bénéfiques puisqu’elle peut réduire ou éviter la souffrance humaine. A l'inverse, la majorité d'entre eux désapprouve le travail du professeur He Jiankui, considérant qu’il est allé trop loin et que ses méthodes frôlent l’eugénisme. Beaucoup craignent les dérives potentielles de ce genre de pratiques, qui mèneraient à la création de « bébés sur mesure » plus beaux, plus intelligent et en meilleure santé que les autres. Jennifer Doudna, co-créatrice de la méthode CRISPR a elle-même dénoncé les travaux du professeur He Jiankui et a déclaré être très déçue et même écœurée que son travail ait été utilisé à des fins qu’elle n’approuve aucunement. En effet, cette intervention qui n’avait jamais été testée sur des humains auparavant, n’était pas nécessaire ni d'une importance vitale d’après elle, car des méthodes existent déjà pour éviter l’infection par le VIH d’enfants nés de parents séropositifs. Suite à l'annonce de ses expériences, le professeur He Jiankui a été démis de ses fonctions par les autorités chinoises et a dû suspendre ses recherches. En outre, l’université de Shenzhen où il travaille n’était apparemment pas au fait de ses expériences. Il parait évident que des moyens de contrôle plus efficace seront à présent nécessaires dans le domaine des modifications génétiques, si l'on veut pouvoir bénéficier du progrès tout en empêchant ses excès.

Sources:

TicToc by Bloomberg, The co-inventor of CRISPR says she’s “horrified” and “disgusted” with how her work has been used to create gene-edited babies https://twitter.com/tictoc/status/1067772480511766528

Commission des questions sociales de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Non à la modification de cellules germinales dans les embryons humains, http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=7288&lang=1&cat=133

Audrey Duperron, Les deux premiers bébés génétiquement modifiés s’appellent Lulu et Nana, https://fr.express.live/2018/12/04/les-deux-premiers-bebes-genetiquement-modifies-sappellent-lulu-et-nana

Hugo Jalinière, « Un scientifique chinois annonce la naissance des premiers bébés génétiquement modifiés », Sciences et Avenir. https://www.sciencesetavenir.fr/sante/naissance-de-bebes-genetiquement-modifies-par-crispr_129696

Le Point magazine, « Chine : les naissances de bébés génétiquement modifiés provoquent un tollé », Le Point, 26/11/2018. https://www.lepoint.fr/science/chine-les-naissances-de-bebes-genetiquement-modifies-provoquent-un-tolle-26-11-2018-2274488_25.php

Damien Mascret, « Deux bébés génétiquement modifiés sont-ils vraiment nés en Chine? », FIGARO, 26/11/2018. http://www.lefigaro.fr/sciences/2018/11/26/01008-20181126ARTFIG00285-un-chercheur-chinois-a-t-il-vraiment-fait-naitre-deux-bebes-genetiquement-modifies.php

Hervé Morin, « Des bébés génétiquement modifiés seraient nés en Chine », Le Monde 26/11/2018. https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/11/26/des-bebes-genetiquement-modifies-seraient-nes-en-chine_5388942_1650684.html

The He Lab, About Lulu and Nana: Twin Girls Born Healthy After Gene Surgery As Single-Cell Embryos, 25/11/2018. https://www.youtube.com/watch?v=th0vnOmFltc

Déclaration du Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe, https://search.coe.int/directorate_of_communications/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016808fe118