LA MONTEE DU CONTROLE SUR LA JUSTICE ET LES MEDIAS

A l’arrivée au pouvoir des conservateurs, les premières mesures, forcément symboliques, étaient destinées à la justice et aux médias.

Dès ses débuts, le gouvernement s’est attaqué au pouvoir judiciaire. Jaroslaw Kaczynski, associé au Parti conservateur, a d'abord suscité la polémique en décembre, affirmant que le Tribunal Constitutionnel, qui vérifie la légalité des lois, est le "bastion de tout ce qui est mauvais en Pologne"(2). Depuis, l'exécutif a procédé à une réforme de la justice, et le Tribunal Constitutionnel peut se prononcer à la majorité des 2/3, et non plus à la majorité simple, et avec la présence de 13 magistrats sur 15. Dans le même temps, le gouvernement a nommé cinq juges supplémentaires dans ce Tribunal. Selon Boguslaw Liberadzki, social-démocrate et eurodéputé polonais, la situation de la Pologne est comparable aux dérives du gouvernement hongrois. Il affirme : "Chez nous, le régime veut aussi faire la mainmise sur le Tribunal constitutionnel. C’est clairement une violation de la démocratie"(5). Martin Schulz, Président du Parlement européen, a parlé de "Coup"(5) et affirme "très surprenant de la part du gouvernement de prendre des mesures contre la plus haute instance juridique d’une telle manière"(5). Par ailleurs, le gouvernement prévoit de renforcer le pouvoir du Ministère de la Justice sur le Procureur général. Or, la séparation des pouvoirs est nécessaire à l’exercice de la démocratie; ces décisions et ces paroles symboliques rendent donc floue la frontière entre ces deux pouvoirs, et montrent une tentative de renforcer le pouvoir de l'exécutif sur le reste du système institutionnel polonais.
Le gouvernement a aussi décidé de reprendre le contrôle sur les médias à travers une nouvelle loi. "Les mandats des dirigeants de l’audiovisuel public sont sur le point d’être abrogés et les futurs patrons de chaîne et de radio seront choisis par le ministre du Trésor et non plus par le KRRiT, l’équivalent polonais du CSA"(2) selon Catherine Chatignoux, qui s'exprime dans Les Echos. Une mesure qui risque de placer l’ensemble des médias sous l’autorité du gouvernement. Pour Malgorzata Kidawa-Blonska, une des figures de l’opposition, "La loi sur les médias signe leur arrêt de mort"(3), et probablement l’arrêt de mort de la voix de l’opposition. Le contrôle du gouvernement sur l’ensemble des diffuseurs de l’information peut traduire une volonté d’imposer une vision unique, caractéristique des régimes autoritaires.


UNE RHETORIQUE POPULISTE QUI EXACERBE L'AMOUR DE LA NATION POLONAISE

Suite aux élections, divers analyses ont tenté de comprendre pourquoi le pays qui bénéficie le plus des fonds européens a porté au pouvoir un parti conservateur et eurosceptique. Depuis la sortie du communisme, la Pologne évolue vers l’économie de marché et laisse derrière elle des "laissés pour compte" qui n’ont pas suivi cette ouverture à la globalisation. Durant sa campagne, le parti entrant s’est basé sur ces délaissés de la mondialisation, généralement ruraux, classes moyennes ou en situation précaire, en utilisant un discours populistes décomplexés aux accents poujadistes. Selon Ewa Bogalska-Martin, la seconde étape de ce discours est la dérive fasciste(1). Il est vrai que nous retrouvons la même rhétorique dans les discours de Mussolini et de Hitler(4) lors de leur ascension vers le pouvoir.
Dans son discours, le PiS favorise le retour aux valeurs nationales, définissant une Pologne homogène. L’Eglise catholique comporte une place essentielle dans l’exploitation de la rhétorique nationaliste polonaise. Rappelons qu’elle a joué un grand rôle dans la lutte polonaise contre le régime communiste. Dans son programme, le parti au pouvoir prévoie d’intégrer la religion catholique dans l’équivalent de l’épreuve du Baccalauréat, étape symbolique de l’évolution scolaire des jeunes polonais. Entre les lignes, nous comprenons vite que les minorités non catholiques ne feront pas partie de cette nation idéalisée. Le rapport d’une partie des Polonais à la Shoah, pour laquelle un devoir de mémoire n’a pas encore été correctement effectué, est parfaitement incarné par le PiS. Les propos ambigus du chef du parti conservateur Andrzej Duda sur les pogroms de 1941, par lesquels il déni la responsabilité polonaise dans la mort de milliers de juifs, en témoignent(16).
La question des réfugiés résonne aussi comme le rejet d’une culture jugée étrangère à la nation polonaise, et même dangereuse. Depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir, la Pologne s’est positionnée fortement contre l’accueil de réfugiés , par des discours aux accents xénophobes et islamophobes. Ainsi, le président Kaczynski - lui-même membre du parti conservateur - a affirmé le 25 octobre dernier, en faisant référence à l'afflux de réfugiés: "Voulez-vous qu’on ne soit plus les maîtres dans notre propre pays ? Les Polonais ne le veulent pas et le PiS ne le veut pas non plus"(7). Il a également fait allusion aux "territoires où régnerait la charia en France en Suède"(7). C’est le même Monsieur Kaczynski qui a affirmé que les réfugiés apportent le "choléra" et "toutes sortes de parasites"(7) aux populations grecques. Ce vocabulaire utilisant des qualificatifs de maladies, de virus, d'impureté, et de saleté, confirme la croyance en une prétendue pureté de la civilisation européenne, et surtout de la nation polonaise, dans le discours des conservateurs polonais.

UN RAPPORT MEFIANT A SES VOISINS, L’EUROSCEPTICISME AU CŒUR DU DISCOURS DU PiS
L’histoire de la Pologne est celle d’un pays envahit, écrasé, effacé des cartes, et reconstruit après maints efforts. Dans la mémoire nationale polonaise, ses voisins sont considérés comme une menace possible de porter atteinte à son intégrité. Le courant porté par le PiS exacerbe cette idée commune, pour en faire un programme et un symbole.

Nous ne nous attarderons pas sur les rapports avec la Russie, déjà exécrables avant l’arrivée au pouvoir du parti conservateur . Depuis l’arrivée au pouvoir du PiS, ils sont symboliquement détériorés par certains conservateurs, pour lesquels l’accident d’hélicoptère ayant mené – entre autre – à la mort du président polonais en 2010, aurait été fomenté par la Russie(17) .

Cependant, nous allons nous pencher plus attentivement sur la relation à l’Union Européenne. Les rapports tendus à l’Union Européenne du PiS, et donc d’une partie des électeurs polonais, s’explique par plusieurs raisons.
D’abord, pour des raisons d’ordre social, dont nous avons parlé plus tôt : Particulièrement depuis son entrée dans l’Union Européenne, la Pologne connait une forte croissance économique. Mais en contrepartie, le chômage a augmenté depuis la sortie du système communiste. Durant la campagne, le PiS promet l’augmentation d’allocations familiales de 500 zlotys par mois, la baisse de l’âge de départ à la retraite, ou encore la gratuité des médicaments pour les plus de 75 ans(10); il a donc beaucoup misé sur l'augmentation du niveau de vie des familles et des personnes âgées les plus précaires, avec un programme coûteux qu'il n'est pas certain de pouvoir mettre en oeuvre. Ensuite, durant un séjour en Pologne, nous avons rencontré la représentante de l’Association des Résidences Royales Européennes, très impliquées dans les relations Pologne-UE. Elle nous a offert une analyse intéressante sur le rejet de l'Union Européenne par une partie des Polonais. Selon elle, après la chute de l’URSS, la Pologne connaît une période de grande liberté qu’elle lie à un retour de sa souveraineté. Mais depuis l’entrée dans l’Union Européenne – voulu celle-là, contrairement à l’URSS -, le pays prend conscience des contraintes qu’une entité extérieure peut exercer sur elle. Elle lie probablement les demandes de l’UE aux puissances envahissantes passées.
Le rapport complexe à l’UE s’explique aussi par les réflexes nationalistes du parti conservateur. Dans son discours, le PiS s’attaque fortement à l’idéologie libérale, "menace" pour les idéaux nationaux traditionnels. Dans un article de Libération, Maja Zoltowska affirme que ce parti reproche "aux libéraux de chercher à imposer un modèle de société à l’occidental qui encourage les mariages homosexuels, l’avortement, la fécondation in vitro ou l’euthanasie"(8). Selon les conservateurs, cette idéologie libérale est principalement représentée par l’UE. Ainsi, les attaques contre l’Union Européenne peuvent plus être analysées comme une barrière de protection pour préserver des valeurs traditionnelles que comme un rejet total de l’entité européenne.

Ainsi, tous les acteurs institutionnels et associatifs polonais interrogés durant mon séjour en Pologne ne pensent pas que les fonds européens vont baisser avec l’arrivée de ce nouveau gouvernement. Cependant, il est claire que le nationalisme en Pologne a de beaux jours devant lui...


BIBLIOGRAPHIE :


1: http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/04/la-pologne-n-est-pas-a-l-abri-d-une-derive-fasciste_4841398_3232.html
2: http://www.lesechos.fr/monde/europe/021614874756-pologne-comment-le-gouvernement-conservateur-a-repris-en-main-la-justice-et-les-medias-1191972.php
3: http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/01/07/97001-20160107FILWWW00240-pologne-les-medias-publics-controles.php
4: http://www.liberation.fr/tribune/2000/02/21/hitler-et-l-emploi_317690
5: http://www.letemps.ch/monde/2015/12/16/pologne-nationaliste-eurosceptique-placee-surveillance
6: http://www.rfi.fr/europe/20150915-union-europeenne-accords-schengen-migrants-refugies-pologne
7: http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/10/25/en-pologne-la-campagne-s-est-durcie-sur-la-question-des-refugies_4796519_3214.html
8: http://www.liberation.fr/planete/2012/12/21/en-pologne-une-ligue-de-la-haine-entre-conservateurs-et-fascistes_869427
9: http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/08/27/les-polonais-prets-a-payer-le-prix-de-l-embargo-russe-en-soutenant-kiev_4477260_3214.html
10: http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/10/25/pologne-la-droite-conservatrice-remporte-les-elections-legislatives_4796630_3214.html
11: http://www.politico.eu/article/poland-democracy-failing-pis-law-and-justice-media-rule-of-law/
12: http://www.bbc.com/news/world-europe-35257105
13: http://www.theguardian.com/world/2016/jan/12/european-commission-to-debate-polands-controversial-new-laws
14: http://www.thenews.pl/1/6/Artykul/128500,Nationalism-on-the-rise-in-Poland
15: http://www.huffingtonpost.com/entry/europe-right-wing-refugees_us_562e9e64e4b06317990f1922
16: http://www.i24news.tv/fr/actu/international/europe/72397-150525-pologne-le-conservateur-andrzej-duda-remporte-les-elections-presidentielles
17: http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/10/31/pologne-la-polemique-sur-le-crash-de-smolensk-relancee_1783549_3214.html