Après le coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016 en Turquie, la réaction du gouvernement turc, présidé par Recep Tayyip Erdogan, ne s’est pas faite attendre : en effet, dès le lendemain, une répression contre des fonctionnaires ou salariés de tous milieux (militaires, magistrats, enseignants, journalistes, universitaires, politiques) est orchestrée et l’état d’urgence est mis en place dès le 20 juillet puis prolongé le 19 octobre. Nous pouvons alors nous demander quel est l’état de la démocratie en Turquie et par delà, quelle est la place de la liberté de la presse, en particulier dans cet environnement.

Erol Önderoglu, correspondant de Reporter Sans Frontière en Turquie, qui fût lui-même arrêté en juin pour « propagande terroriste », exprime son inquiétude concernant toute forme de prises de position: «Les défenseurs des droits de l'Homme, les médias critiques, toute forme de production artistique ou critique sont désormais exclus de la perception du public en Turquie. Le gouvernement joue beaucoup à les discréditer au quotidien». Eric Fottorino (écrivain et journaliste notamment pour "Le Monde" qu’il dirigea entre 2007 et 2011) rappelle d’ailleurs dans l’hebdomadaire "Le 1" du mercredi 26 octobre 2016 (n°127) qu’ « on dénombre (aujourd’hui) quelques 130 journalistes derrière les barreaux. (…) 154 médias ont été fermés par décret, près de 105 000 sites web sont désormais bloqués ». Comme exemple marquant et concret de ces arrestations massives des dernières semaines, nous pouvons citer celles de douze chroniqueurs du journal d’opposition "Cumhuriyet" (signifiant la République) le 31 octobre, journalistes « (…) soupçonnés, selon le procureur d’Istanbul, de connivence avec deux organisations terroristes : le mouvement de Fethullah Gülen, accusé d’avoir fomenté la tentative de coup d’Etat du 15 juillet, et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit en Turquie) » (Arrestation du rédacteur en chef du quotidien d’opposition « Cumhuriyet », "Le Monde", 31/10/16).

Le putsch avorté de la mi-juillet 2016 a provoqué un climat de terreur qui permet, notamment dans ce contexte, à Recep Tayyip Erdogan de particulièrement asseoir et tenir son pouvoir. Selon Can Dündar (rédacteur en chef de "Cumhuriyet"), un des journalistes arrêtés en fin octobre, souligne que « Malheureusement, tous les journalistes contestataires sont en danger, parce que le gouvernement ne tolère aucune critique». Recep Tayyip Erdogan utilise alors le coup d’Etat manqué pour « légitimer une chasse aux sorcières contre toute l’opposition, en les accusant d’avoir préparé le coup d’Etat et d’avoir eux-mêmes cherché à se faire opprimer » (propos recueillis en juillet 2016 par le Huffington Post). De plus, nous apprenons en début novembre que plusieurs dirigeants du parti politique pro-kurde ont été placés en garde à vue.

L’Union Européenne, portant des valeurs telles que les libertés individuelles, la démocratie ou encore le respect des droits de l’Homme, est très inquiète sur les événements en Turquie et redoute des dérives autoritaires de Recep Tayyip Erdogan qui souhaite, par ailleurs, soumettre au Parlement turc le rétablissement de la peine de mort. Mais, intégrant tous les facteurs de l’actualité (migrant, relation difficile entre Bruxelles et Ankara…), l’Union Européenne cherche à ne pas trop contrarier Recep Tayyip Erdogan : « les ministres européens des affaires étrangères devaient se livrer à un exercice périlleux : condamner la tentative de coup d’Etat en Turquie et, en parallèle, mettre en garde le régime du président Recep Tayyip Erdogan quant au respect des libertés. Le tout sans menacer, si possible, l’accord conclu en mars entre Ankara et Bruxelles pour endiguer les flux de migrants débarquant en Grèce » (Bruxelles joue les équilibristes face à la Turquie après le putsch, "Le Monde", le 19/07/2016).

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