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Un Etat d’urgence toujours plus préoccupant

Cette nouvelle prolongation intervient dans l’urgence alors que la démission du gouvernement de Manuel Valls le 6 décembre devait légalement y mettre fin. Elle prévoit désormais de maintenir l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2017 afin de couvrir les élections présidentielle et législatives. Ce régime confiant des pouvoirs exceptionnels au ministère de l’intérieur contraint en effet la France à se retirer du cadre de la Convention Européenne des Droits de l’Homme depuis déjà plus d’1 an, en permettant notamment des mesures d’assignation à résidence ou de perquisitions extrajudiciaires pour ne citer que les mesures les plus utilisées à présent.

Le gouvernement se veut convaincant en insistant sur une accélération des interpellations face à un danger qui serait plus fort que jamais. Selon les chiffres qu’il expose, relayés dans Le Monde lundi 12 décembre 2016, 50% des interpellations réalisées dans le cadre des 16 projets d’attentats déjoués en 2016 l’auraient été au cours des seuls mois de septembre et octobre. Le ministère de l’intérieur corrèle cette augmentation avec la réduction des territoires sous l’emprise de Daesh, grâce notamment à la participation militaire de la France qui accroit la menace. Pourtant, seuls 19 des 4000 perquisitions menées dans le cadre de l’état d’urgence ont débouchées sur une enquête du Parquet antiterroriste de Paris entre novembre 2015 et novembre 2016, soit un peu moins de 0,5%.

D’où une légitimité à s’interroger sur sa réelle pertinence et constante prolongation, ce que le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Nils Muiznieks ne manque pas d’avoir constaté. Lors d’une récente visite auprès du ministre de l’intérieur le 29 novembre dernier au sujet de l’état d’urgence et de ses conséquences, il a en effet souligné que la France faisait partie d’une triade préoccupante de pays dérogeant aujourd’hui à la Convention Européenne des Droits de l’Homme parmi lesquels se trouvent également la Turquie et l’Ukraine.

Multiplication des atteintes et des critiques

Toujours en France, dans un climat d’élection présidentielle où la mode est ici aussi à l’apparence « antisystème », des candidats proposent de quitter la Cour européenne des droits de l’homme. C’est le cas du gagnant des primaires de la droite et du centre François Fillon, dont les chances d’élection sont loin d’être invraisemblables. Lors de sa campagne au primaire il avait affirmé : « la Cour se mêle de plus en plus de questions de société, qui font notre identité. On ne peut l'accepter. Je proposerai que la France quitte la Cour ». Ce qui le dérange plus particulièrement, ce sont les questions liées à la gestation pour autrui alors que la France a été condamnée 2 fois par le passé pour avoir refusé de reconnaître des enfants nés de mère porteuse étrangère.

Mais loin d’être propre à la France, et sans vouloir comparer avec l’extrémité actuelle Turque, ce climat sécuritaire semble progressivement se diffuser avec une multiplication des violations et critiques envers la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et les droits fondamentaux qu’elle tente de défendre. Récemment, les Pays-Bas ont aussi eu droit à une lettre officielle de la part du Commissaire aux droits de l’homme alors que 3 projets de lois sur la sécurité sont actuellement débattues.

D’autres Etats comme la Russie ou la Pologne contestent de manière régulière les décisions de la Cour en refusant d’en appliquer ses arrêts. Leurs dirigeants utilisent souvent la formule du "gouvernement des juges" pour la désigner, formule reprise par Bart De Wever (président du parti politique belge conservateur N-VA) ce week-end pour parler de la justice belge, trop influencée à son goût par la jurisprudence de la CEDH.

De son côté la CEDH tente de rester sereine, certaines propositions électorales souverainistes étant par ailleurs difficilement réalisables une fois le pouvoir acquis. Cette juridiction qui est aujourd’hui dénoncée comme un obstacle à la démocratie, constitue à l’inverse une avancée démocratique unique dans le monde, permettant à des Etats comme à des particuliers de la saisir comme un dernier rempart de contrôle des droits fondamentaux. Des politiciens la stigmatisent aujourd’hui en faisant appel au sentiment nationaliste, sans doute se trompent-ils de cible.

Sources :

Article du Monde du 30.11.2016 par Jean-Baptiste Jacquin, http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/11/30/prolonger-l-etat-d-urgence-un-risque-pour-la-democratie_5040770_3224.html

Article du NYTimes.com du 12 décembre 2016 par Thorbjørn Jagland, secrétaire général du Conseil de l’Europe, http://www.nytimes.com/2016/12/12/opinion/dont-caricature-europes-court.html?smid=tw-nytopinion&smtyp=cur&_r=0

Article de lalibre.be du 13 décembre 2016 par Jean-Claude Matgen, http://www.lalibre.be/actu/belgique/la-cour-des-droits-de-l-homme-est-de-plus-en-plus-souvent-critiquee-dans-le-monde-politique-584f04cccd70bb41f08e3f23

Article du Figaro.fr du 26 octobre 2016 par Aymeric Misandeau, http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2016/10/26/25001-20161026ARTFIG00282-lui-president-fillon-pourrait-quitter-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme.php

Article du Monde.fr par Jean-Baptiste Jacquin du 30 novembre 2016, http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/11/30/prolonger-l-etat-d-urgence-un-risque-pour-la-democratie_5040770_3224.html