Dès les débuts de la Seconde Guerre mondiale, le 28 septembre 1939, l'Allemagne et la Russie signent le « Traité germano-soviétique de délimitation et d'amitié », qui définit la collaboration, les zones d'influence et les frontières entre les deux puissances. Ce traité comporte notamment une clause sur le partage de la Pologne. Dès lors, les territoires polonais sont annexés à la Russie et incorporés au Reich.

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Cet épisode ne peut que faire écho à la longue histoire d'invasions qu'a connu la Pologne. En effet, rappelons que depuis le XVIIIe siècle, l'État polonais a subi quasi sans interruption des vagues d'occupation et de partage. Les trois grands partages précédant celui de 1939 ont eu lieu en 1772, 1793 et 1795 respectivement entre la Russie, l'Autriche et la Prusse; la Russie et la Prusse et à nouveau la Russie, l'Autriche et la Prusse. Ainsi, les frontières polonaises n'ont cessé de bouger, ne connaissant aucune stabilité. Il est nécessaire de souligner que chacun de ces partages s'est accompagné de processus d'assimilation - autant de russification que de germanisation - allant par exemple jusqu'à l'interdiction de la langue polonaise dans les écoles privées.

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À l'issu de la Première Guerre mondiale (1914-1918), le Traité de Versailles du 28 juin 1918 restaure la frontière polonaise de l'Ouest à son état d'avant le partage de 1972. Néanmoins, la Pologne ne connait pas pour autant le calme et l'équilibre et la déclaration de la Seconde Guerre mondiale la soumet de nouveau rapidement à des puissances étrangères.
Après le partage de 1939, une germanisation radicale est ordonnée et la déportation est systématisée en Pologne, qui se couvre de camps de concentration et d'extermination. Dès le début de l'occupation allemande, les Juifs sont regroupés dans des ghettos, dont la fermeture est décidée au milieu de l'année 1940. L'extermination systématique des Juifs commence en décembre 1941 et provoque l'insurrection et l'anéantissement du ghetto de Varsovie (avril-mai 1943). D'aout à octobre 1944 a lieu l'insurrection de Varsovie, remarquable soulèvement armé contre l'occupant allemand et la menace soviétique, qui se solde par l'anéantissement quasi-total de la ville. Lorsque l'Armée rouge conquit la rive gauche de Varsovie en janvier 1945, près de 85% de cette dernière est détruite.

Ghetto_Wall2.jpg Wall2.jpg Varsovie : ancienne délimitation du ghetto / un des derniers murs restants de l'époque, perforé d'impacts de balles



C'est une lourde histoire à porter, à n'en pas douter. Qu'en reste-il aujourd'hui ? C'est avec tout de même un certain étonnement que l'on constate - en ne passant qu'une semaine en Pologne - l'empreinte laissée par ce passé sur le peuple polonais. Lors d'une conversation après un rendez-vous professionnel à Varsovie, autour d'un verre dans un chaleureux bar de Wroclaw ou encore dans l'ascenseur d'un hôtel à Cracovie, les Polonais semblent ressentir le besoin de parler de cet aspect de leur histoire. C'est l'occasion pour certains de se justifier et de souligner l'effort héroïque des résistants. Mais l'évocation de ces épisodes est, malheureusement, également le moyen de légitimer une aversion parfois très forte à l'égard de l'Allemagne et de la Russie d'aujourd'hui.
Le plus étonnant est d'observer l'emprise de cette mémoire chez les jeunes générations qui n'ont connu ni la guerre, ni même l'Union Soviétique. Pourtant, leur discours n'en est pas moins ardent, allant jusqu'à évoquer l'existence d'un second pacte secret Germano-Russe sur le partage de la Pologne. L'Union Européenne, quant à elle, est perçue comme la nouvelle puissance hégémonique voulant dicter à la Pologne - ainsi qu'aux 27 autres États membres - des règles de vie et de conduite et lui imposer ses volontés propres. Le place qu'occupe l'Allemagne dans l'histoire et sur la scène européennes accentue ce sentiment. De même que l'attitude peut-être parfois trop conciliante de l'Union vis-à-vis de la Russie.
Après des décennies d'invasions, d'occupations et de destructions, ces sentiments d'une partie de la population polonaise sont compréhensibles. Néanmoins, nous ne pouvons que nous désoler de constater un tel impact et nous interroger sur la transmission de la mémoire collective. S'agit-il d'une transmission familiale de génération en génération ? De quelle manière l'histoire nationale est-elle présentée dans l'enseignement ? Qu'en est-il de l'histoire de la construction européenne ? S'agit-il d'une manipulation par le discours politique ?
Autant de questionnements et d'hypothèses qu'il serait intéressant de vérifier...