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Peu de temps après notre arrivée à Varsovie, notre ami polonais Arka était venu nous rendre visite à l’hôtel. Nous discutions de choses et d’autres, lorsque, le voyant croquer dans une pomme, j’en profite pour lui poser une question qui nous trottait dans la tête depuis un moment : « Mais pourquoi y a-t-il autant de pommes en Pologne ? » Les restaurants et les cafés abondent de « kompot », de jus de pomme, pommes séchées ou autre, mais à cela, s’ajoutent ces grandes corbeilles de pommes mises à la disposition des clients dans les hôtels, et qui ne cessaient de nous intriguer depuis notre arrivée. « Mais c’est à cause de la Russie ! » me répond Arka. Nous comprenons que les rapports entre Russes et Polonais ont toujours été assez particuliers, mais comment ces relations peuvent-elles intervenir dans une histoire de pomme ? « C’est l’embargo, et depuis quelques mois, nous sommes obligés de manger toutes les pommes que nous ne pouvons plus vendre à la Russie et à l’Ukraine » m’explique Arka. Certes, toute l’Europe avait été impactée par l’embargo provoqué par le conflit ukrainien. En France, les agriculteurs ont ressenti les conséquences de l’interdiction d’exporter un certain nombre de produits européens, et les consommateurs, dans leur pouvoir d’achat. Mais de là à ne plus savoir quoi faire de la marchandise, ce n’est pas la même chose !

Intriguées par ces pommes à disposition, nous avons commencé à effectuer des recherches, qui nous ont menées au concept, « Mange des pommes contre Poutine ! », campagne lancée l’été dernier. Sur les réseaux sociaux, des dizaines d’internautes polonais avaient décidé de rire de l’embargo russe, en publiant des photos d’eux, une pomme ou une bouteille de cidre à la main, avec le mot-dièse #jedzjablka (en français #mangezdespommes). L’opération, lancée par le journaliste Grzegorz Nawacki, et soutenue par nombreux de ses homologues, et personnalités publiques, était principalement destinée à aider les agriculteurs polonais victimes de l’embargo, la Pologne étant le premier exportateur mondial de pommes. De plus, près de 7% des exportations agroalimentaires polonaises sont absorbées chaque année par la Russie. Cette autodérision, sur fond de patriotisme, faisait référence au slogan officieux de la campagne de Jacques Chirac en 1995, durant laquelle l’ancien président français avait déclaré : « c’est un produit du terroir pour un homme de terrain et la pomme donne la pêche : ce n’est pas si mal comme message politique ! ». Cette déclaration, devenue célèbre, avait été reprise par les Polonais, en solidarité avec leurs agriculteurs. Si l’anecdote est plutôt bien trouvée, elle dissimule cependant un problème économique qui aurait pu peser très négativement sur la Pologne, et renforcer encore plus durement le sentiment eurosceptique qui pèse déjà depuis quelques temps, chez certains Polonais. Notre ami, Arka nous avait déjà dit qu’il pensait parfois que les mesures approuvées depuis Bruxelles ne collaient pas toujours à la réalité polonaise. Et sur ce point, l’embargo questionne puisque je n’ai jamais vu de paniers remplis de pommes non vendues dans les hôtels en France ou en Belgique. Et même si cette problématique de surplus de pommes en Pologne nous a vraiment intrigué, nous ne nous sommes pas contentées de rester centrées sur cette question, pourtant très étonnante. Connaissant peu ce pays, comme beaucoup d’autres européens, j’en ai toujours eu une image très « agricole ». Une vision formée peut-être par le fait que depuis mon très jeune âge, les produits importés que je voyais sur les marchés en Bulgarie provenaient soit de la Grèce, soit de la Pologne (et notamment les champignons !). Un souvenir d’enfance a surgit récemment, quand je me suis demandée quelle est en fait la situation actuelle de l’agriculture en Pologne, l’impact de l’adhésion à l’Union Européenne et celui de la Politique agricole commune (PAC), l’importance des exportations hors UE. Des questions bien complexes issues d’une simple observation sur les pommes… et les champignons.

La Pologne est à ce jour le cinquième bénéficiaire des aides de la PAC, après la France, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, une position qui reflète parfaitement l’importance du secteur pour le pays, mais aussi son poids sur l’économie agricole européenne. Les polonais vont recevoir 32,1 milliards d’euros d’ici 2020 dont 23,49 milliards réservés pour le seul premier pilier qui vise à soutenir directement toutes les exploitations agricoles. Mais les statistiques sont encore plus intéressantes par rapport au second pilier de la PAC qui a pour but de soutenir la compétitivité (y compris les aides aux jeunes agriculteurs) et les infrastructures telles que les canalisations, les systèmes de gestion des eaux usées, les services non-agricoles etc. La Pologne arrive cette fois en pole position – c’est, en effet, l’Etat membre qui bénéficie le plus des fonds de ce deuxième pilier (8,6 milliards d’euros) auquel s’ajoutent aussi les fonds de cohésion (5,2 milliards d’euros). Un constat qui n’a pas changé depuis des années et qui a permis au pays de changer complètement son paysage agricole et même économique. Au sein de l’UE depuis 2004, le pays a vécu une vraie transformation du secteur grâce à ces aides aux montants toujours impressionnants. L’agriculteur polonais a aussi changé ces dernières années et aujourd’hui il est parmi les plus jeunes en Europe. Mais les producteurs n’ont pas été toujours si accueillants par rapport à l’adhésion et surtout à l’ouverture du marché commun. La peur de l’invasion de produits moins chers issus des autres Etats membres, était pourtant sans fondement – le pays où l’agriculture représente 3% du PIB exporte beaucoup plus de produits agroalimentaires qu’elle n’en importe. L’ouverture au marché commun européen n’a donc été que bénéfique pour la Pologne et les chiffres le montrent très bien – par exemple, pour la période 2004-2009, les exportations des produits agroalimentaires ont augmenté de 4 à 11,3 milliards d’euros. Le pays reste aujourd’hui le leader européen dans la production de beaucoup de produits dont, bien sûr, les pommes (et le troisième mondial après la Chine et les Etats-Unis) mais aussi le cassis, les champignons de Paris (même 15 ans plus tard !), les choux blancs, les carottes, les cerises noires et les framboises. Selon les statistiques, en 2014, le pays aurait même vu ses exportations agroalimentaires s’élever à plus de 21 milliards d’euros.

Des chiffres très prometteurs mais une réalité moins joyeuse depuis 2014. Reconduit pour un an l’été dernier, l’embargo russe reste une vraie menace pour l’agriculture polonaise et européenne. Rien ne rassure les producteurs où, toujours dans le cas de la pomme, le marché russe est l’un des plus importants pour le pays en termes d’exportation. Des investissements importants ont été faits en Pologne pour rendre le secteur plus compétitif, et les aides de l’UE ont sûrement joué un rôle significatif. Mais les compensations de l’UE qui tentent de rembourser les pertes des producteurs liées à la question russe ne suffiront jamais. Et même si le peuple polonais fait sans doute preuve d’imagination, il faut aller plus loin que #jedzjablka, certainement avec un soutien beaucoup plus #européen.

__Camille GHESTIN & Rositsa YANCHEVA__

Sources:

Le Monde - "En Pologne, on mange des pommes contre Poutine" http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2014/08/01/fruit-defendu-en-pologne-on-mange-des-pommes-pour-lutter-contre-poutine/

"Les Polonais, prêts à payer le prix de l'embargo russe http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2014/08/27/les-polonais-prets-a-payer-le-prix-de-l-embargo-russe-en-soutenant-kiev_4477260_3214.html

Sur l'agriculture en Pologne:

http://www.francemondexpress.fr/secteurs-marches/article/n/15633/l-etat-des-lieux-de-lagriculture-polonaise/

http://www.terre-net.fr/actualite-agricole/politique-syndicalisme/article/les-choix-de-la-pologne-priorite-donnee-au-premier-pilier-205-98395.html

http://www.rfi.fr/europe/20150602-politique-agricole-commune-pac-pologne-exportation-ue-agroalimentaire