Dans une Union européenne fondée sur des valeurs démocratiques, le respect de la dignité humaine, de la liberté, de l’égalité, des droits de l’homme et de la protection des minorités, conditionner l’accès aux fonds européens au respect de l’État de droit semble une évidence.
Entré en vigueur en 1992 par l’introduction du Traité de Maastricht, l’État de droit comme l’une des valeurs fondamentales de l’Union résulte du Traité de Lisbonne, signé en 2007. Néanmoins, il convient de souligner ici que le mécanisme conditionnant l’octroi des fonds européens au respect de l’État de droit n’a été adopté qu’en décembre 2020, dans le cadre de la négociation du budget pluriannuel de l’UE (2021-2027) et du plan de relance post-Covid-19 (NextGenerationEU).

UNE MAIN DE FER DANS UN GANT DE VELOURS,
La conditionnalité de l'octroi de fonds européens est bien plus qu’un mécanisme financier : c’est un levier pour défendre l’âme démocratique de l’Union ; une norme opérationnelle, encadrant la gouvernance, les droits fondamentaux et la justice. Cependant, dans un monde instable, marqué par la concurrence de pays tels que la Chine, les États-Unis, la Russie ou les BRICS, face à la crise du Brexit, au populisme montant, l’Union à 27 tout en travaillant au respect de ses valeurs fondamentales doit préserver son unité et sa cohésion.
En effet, introduit sous la forme d’un règlement spécifique sur la protection du budget de l’UE, ce dispositif d’octroi des fonds européens suscite de vives tensions, notamment avec la Pologne et la Hongrie. États ayant mis en place des réformes perçues comme sapant les principes démocratiques, et notamment les libertés fondamentales et l'indépendance judiciaire.


LE CAS POLONAIS : LA « CRISE DE L’ÉTAT DE DROIT »
Bien que contesté par la Cour européenne des droits de l’homme pour ses réformes qui affaiblissent les mécanismes de contrôle judiciaire, dans un arrêt rendu le 7 octobre 2021, le Tribunal constitutionnel polonais a affirmé la primauté de la Constitution nationale sur le droit européen. Toutefois, « après huit années de gouvernance populiste (2015-2023), qui ont endommagé en profondeur les structures institutionnelles de la Pologne, la coalition démocrate au pouvoir depuis décembre 2023 » a engagé des réformes. Le 20 novembre 2024 leur mise en œuvre restait incomplète. Cependant, la Cour accorde au gouvernement polonais un délai supplémentaire jusqu’au 23 novembre 2025 pour adopter des mesures législatives et permettre la résolution des problèmes systémiques.

• LE CAS HONGROIS : EN PHASE DE RÉGRESSION
Dans son 5e rapport annuel sur l’État de droit publié le mercredi 24 juillet 2024, la Commission européenne a fait état du recul observé en la matière en Hongrie. Vivement critiqué pour ses problèmes en matière de démocratie, le gouvernement hongrois n’a progressé dans la mise en œuvre d’aucune des recommandations formulées par la Commission. À savoir : la poursuite des responsables de la corruption, le renforcement de l'indépendance de la justice, l’indépendance des médias, le renforcement de la société civile, le respect des droits des minorités, des réformes électorales, la lutte contre les conflits d’intérêts et la conformité avec les normes européennes. Face à cette inaction, l’UE a bloqué plus de 30 milliards d’euros de fonds de cohésion et de relance destinés au pays amenant le Premier ministre Viktor Orbán à qualifier cette décision de « chantages financiers ».


UNE INVISIBILISATION STRATÉGIQUE ?
Agissant de la sorte, il est possible que l’UE veuille gérer ces dissensions de manière suffisamment discrète pour préserver à la fois ses valeurs fondamentales et le maintien de son unité. En effet, une stratégie plus ostentatoire pourrait alimenter les euroscepticismes locaux. Du côté polonais, même si le sentiment européen reste fort, mettre en avant ces suspensions de fonds pourrait être exploité par des partis populistes pour renforcer leur rhétorique anti-UE. De l’autre, si la stratégie du chef d’État hongrois Viktor Orbán repose sur la polarisation, un focus médiatique sur ces mesures jouerait en sa faveur.




SOURCES :

• Chamoulaud, R. (2021, octobre 8). La primauté du droit européen remise en cause par la Pologne. Toute l'europe en ligne URL : https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/la-primaute-du-droit-europeen-remise-en-cause-par-la-pologne/,

• Conseil de l'Union européenne. Chronologie - Budget à long terme de l’UE pour la période 2021-2027 en ligne URL : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-long-term-budget/timeline-long-term-eu-budget-2021-2027/.

• État de droit, (s. d). Consilium.europa.eu en ligne, URL : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/rule-of-law/, consulté le 26 décembre 2024

• Euronews, (2021, octobre 8). Polexit ? Fury in Brussels after Warsaw court rules Polish Constitution overrides EU law. Euronews en ligne. URL : https://www.euronews.com/2021/10/07/polish-court-rules-some-eu-laws-clash-with-country-s-constitution

• Journal officiel de l'Union européenne, (2020, décembre 22). Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 établissant un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union. EUR-Lex en ligne URL : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32020R2092

• Iwaniuk, J. (2024, octobre 16) En Pologne, un an après la victoire de Donald Tusk, la difficile remise en ordre des institutions. Le Monde en ligne. URL : https://www.lemonde.fr/international/article/2024/10/16/en-pologne-un-an-apres-la-victoire-de-donald-tusk-la-difficile-remise-en-ordre-des-institutions_6353364_3210.html

• Le Club des Juristes. Prolongation du report des affaires relatives à l’état de droit : dirigées contre la Pologne PDF URL : https://www.leclubdesjuristes.com/wp-content/uploads/2024/11/Prolongation-du-report-des-affaires-relatives-a-l_etat-de-droit_-dirigees-contre-la-Pologne-1.pdf.

• Nielsen, M. L. (2024, juillet 25). Rapport sur l’État de droit : la Hongrie, la Slovaquie et l’Italie parmi les mauvais élèves. Euractiv en ligne. URL : https://www.euractiv.fr/section/commission-europeenne/news/rapport-sur-letat-de-droit-la-hongrie-la-slovaquie-et-litalie-parmi-les-mauvais-eleves/