Durant cette dernière décennie, l’Union européenne (UE) a connu une crise migratoire sans précédent. Par un manque de coordination et de solidarité européenne, des pays comme Chypre, la Grèce ou l’Italie ont dû, pendant des mois sinon des années, faire face à l’arrivée massive de migrants sur le sol européen. Les risques pris par les migrants pour arriver jusqu’aux portes de l’Europe se sont traduits par de nombreux naufrages, pour certains mortels. Ces derniers ont déclenché l’obligation pour l’Union d’adapter sa politique en matière de migration et d’asile.
En effet, d’un point de vue éthique et juridique, il est inconcevable que l’UE, chantre des droits humains, laisse mourir des migrants sur ses plages.
Mais au regard de l’importance extraordinaire du pic migratoire de 2015, elle n’est pas non plus en mesure d’accueillir ces centaines de milliers de migrants. D’autant que selon les États-membres, les opinions publiques ne sont pas favorables à leur accueil.
L’UE PEUT-ELLE CONCILIER EFFICACITÉ MIGRATOIRE ET RESPECT DES DROITS HUMAINS ?
Pour faire face à cette contradiction, l’UE opte en interne pour un contrôle et une gestion commune de ses frontières notamment avec FRONTEX. Parallèlement, elle travaille à l’externalisation de ses frontières en multipliant des accords avec des pays tiers. Parmi ses partenaires : le Liban, la Turquie, la Libye. Ce faisant, elle délègue, moyennant financement, une partie de ses responsabilités en matière de contrôle des frontières. Le but étant d’intercepter, de détenir, ou de rapatrier les migrants avant qu’ils n’atteignent le sol de l’UE.
Or, cette externalisation suscite des interrogations profondes sur le respect des droits humains et l’image de l’Europe comme défenseur des droits de l’Homme.
À cet égard, des organisations de défense des droits humains ont rebaptisé le Pacte européen sur la migration et l’asile adopté en 2024 de « Pacte contre les migrations ». Selon elles, cette stratégie, en plus d’être coûteuse, est, tant dans sa dimension interne qu’externe, inefficace et contraire au droit international. Ces dernières considérant que cette politique aggrave les violations des droits humains et alimente les réseaux de trafic sans réduire les migrations irrégulières.
Se pose également des questions sur les conditions dans lesquelles ces politiques sont mises en œuvre dans les États-membres et les pays partenaires. Deux exemples récents illustrent ce questionnement : La politique migratoire de l'UE étant une compétence partagée avec ses États membres, cela signifie que ces derniers conservent une marge de manœuvre pour prendre des mesures nationales. Ainsi, concernant l’Italie, le 23 octobre 2024, le Conseil de l'Europe a adopté la recommandation CM/RecChS(2024)43, l’incitant à mettre fin aux expulsions forcées de Roms, à garantir une inclusion cohérente des communautés roms, sintis et caminantis, et de lutter contre l'antitsiganisme.
Au niveau international, annoncé en 2024, l'accord migratoire entre l'UE et le Liban vise à réduire les migrations irrégulières vers l'Europe. Il prévoit le retour des réfugiés, notamment syriens, vers des zones supposées « sûres" en Syrie, en échange, d’1 milliard d'euros d'aide pour soutenir cette gestion migratoire. Mais l'accord soulève des inquiétudes concernant les droits humains. Selon l'ONU, la Syrie reste incertaine pour les retours forcés. En effet, sous le régime de Bachar el-Assad les réfugiés pouvaient être exposés à des persécutions et des détentions. L’arrivée récente du nouveau dirigeant Ahmad al-Chareh ne permet pas de connaître ses intentions politiques en la matière.
QUELLE RESPONSABILITÉ POUR L'EUROPE ?
En externalisant ses frontières, sans doute l’UE tente-t-elle d’invisibiliser aux yeux de ses citoyens la difficulté de gérer sainement l’afflux migratoire. En plus d’être une solution à court terme, l’externalisation des frontières soulève des enjeux éthiques majeurs. En déléguant ses frontières, l’UE externalise aussi son regard.
LES CONSÉQUENCES HUMAINES ET JURIDIQUES :
Des rapports d’Amnesty International et de Human Rights Watch ont documenté les effets de cette externalisation :
- Des conditions de détention alarmantes. En Libye, des centres de détention où les migrants subissent torture, violences sexuelles, etc.
- La non-éradication des morts en mer. Les migrants prennent d’autres routes plus dangereuses, augmentant les risques de naufrage.
- La dilution des responsabilités de l’UE, qui se protège juridiquement puisqu’elle n’intervient pas directement, rend difficile l’attribution des violations.
SOURCES :
• Amnesty International, (2024, avril 8). EU : Migration and Asylum Pact refo.... URL : https://www.amnesty.org/en/latest/news/2024/04/eu-migration-asylum-pact-put-people-at-risk-human-rights-violations/
• COE, (2024, octobre 23) CM/RecChS(2024)43, en ligne URL : https://search.coe.int/cm?i=0900001680b201a6
• Conseil de l'Union européenne. Flux migratoires : les routes orientale, centrale et occidentale, infographie en ligne. URL : https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/migration-flows-to-europe/ Consulté le 26 décembre 2024.
• Conseil de l'Union européenne. Politique de l’UE en matière de migration et d’asile, en ligne. URL : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/. Consulté le 26/12/24
• Conseil de l'Union européenne. Arrivées irrégulières dans l’UE - 2008 2024, en ligne. URL : https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/irregular-arrivals-since-2008/, consulté le 26/12/24
• CNCD-11.11.11 (2024, octobre 11) L’externalisation, face sombre du Pacte européen sur la migration et l’asile en ligne. URL : https://www.cncd.be/L-externalisation-face-sombre-du.
• FRONTEX. Migratory Map en ligne. URL : https://www.frontex.europa.eu/what-we-do/monitoring-and-risk-analysis/migratory-map/ Consulté le 26/12/24
• Human Rights Watch , (2024, may 2). Lebanon : Joint Statement – Respect International Law in EU-Lebanon Migration Deal. Human Rights Watch en ligne. URL: https://www.hrw.org/news/2024/05/02/lebanon-joint-statement-respect-international-law-eu-lebanon-migration-deal
• Union européenne. Objectifs et valeurs en ligne. URL : https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/principles-and-values/aims-and-values_fr. Consulté le 26/12/24 Consulté le 26/12/24