Avant de rentrer dans l'essentiel, permettez-moi de saisir mes pincettes parce qu'il me parait important de préciser que je ne cherche pas à mettre en cause le système. Le monde d'Orwell, dans sa dimension générale n'est absolument pas comparable au monde d'aujourd'hui. Il n'est pas question de complot, de négationnisme, de False Flag ou que sais-je encore mais simplement d'un argumentaire questionnant la relation que peut avoir la guerre dans l'ouvrage phare d'Orwell avec la nôtre. Maintenant que c'est fait, commençons.

Qui est Orwell ?

George Orwell, nom de plume d'Eric Arthur Blair, né le 25 juin 1903 à Motihari (Inde) pendant la période du Raj britannique et mort le 21 janvier 1950 à Londres, est un écrivain et journaliste anglais. Témoin de son époque, Orwell est dans les années 1930 et 1940 chroniqueur, critique littéraire et romancier. De cette production variée, les deux œuvres au succès le plus durable sont deux textes publiés après la Seconde Guerre mondiale : La Ferme des animaux et surtout 1984, roman dans lequel il crée le concept de Big Brother, depuis passé dans le langage courant de la critique des techniques modernes de surveillance. L'adjectif « orwellien » est également fréquemment utilisé en référence à l'univers totalitaire imaginé par l'écrivain anglais. (1)

1984

L'ouvrage qui va nous intéresser est 1984, communément considéré comme une référence du roman d'anticipation, de la dystopie, voire de la science-fiction en général. La principale figure du roman, Big Brother, est devenue une figure métaphorique du régime policier et totalitaire, de la société de la surveillance, ainsi que de la réduction des libertés. Il décrit une Grande-Bretagne trente ans après une guerre nucléaire entre l'Est et l'Ouest censée avoir eu lieu dans les années 1950 et où s'est instauré un régime de type totalitaire fortement inspiré à la fois du stalinisme et de certains éléments du nazisme. La liberté d'expression n’existe plus. Toutes les pensées sont minutieusement surveillées, et d’immenses affiches sont placardées dans les rues, indiquant à tous que « Big Brother vous regarde » (Big Brother is watching you). (2)

Les guerres au XXIème siècle

A l'époque, toutes nos guerres ne concernaient que deux Etats au minimum, cherchant à annihiler coûte que coûte la faction adverse. Le début du XXème siècle et sa moitié nous l'auront aisément prouvé. Aujourd'hui, les choses ont radicalement changé. Bien sûr, dans la dernière décennie, les guerres entre Etats existent toujours comme la coalition américaine contre l'Afghanistan en 2001, l'Irak en 2003, la coalition française contre la Libye en 2011. Désormais, il s'agit de la soupe servie en Syrie avec cette ambiance de bonne vieille guerre froide, mais nous y reviendrons un peu plus tard. La différence majeure entre le XXème siècle et le nôtre s'agit de l'ennemi. Qui est-il ? Saddam Hussein, Kadhafi, Ben Laden, Al-Qaïda, Bachar el-Assad, Daech. L'ennemi majeur a eu plusieurs noms, chaque fois remplacé par un système ou une personne toujours plus dangereuse pour l'occident, l'entité est pourtant toujours la même : Le Terrorisme. Cet ennemi est invisible parce qu'il ne suffit pas d'être chrétien, juif ou musulman, français, irakien ou malien pour être considéré comme un terroriste, un ennemi. Le terroriste a une nationalité mais contrairement à la première guerre mondiale par exemple, où les forces alliées avaient pour ennemis les allemands, l'ennemi de la France en Syrie, c'est Daech, intégrant des individus de toute nationalité, dont certains vont commettre des attentats comme lors du mois de novembre 2015.

Le nouvel art de la guerre selon Orwell

Dans 1984 d'Orwell, le monde est disputé entre trois puissances : Oceania, Eurasia et Estasia. Il n'y a pas de notion de terrorisme dans l'ouvrage, par contre les trois puissances sont continuellement en guerre, depuis des décennies, l'ennemi changeant de nom à chaque fois. Si l'Oceania est en guerre contre l'Eurasia et l'Estasia, le lendemain il s'agira de l'Oceania et l'Eurasia contre l'Estasia, l'ennemi est par définition invisible. Il nous est expliqué que ces nations pourraient très bien vivre en paix, que cette paix pourrait être permanente et qu'il n'y aurait pas de différence avec l'Etat de guerre permanent, défini par le slogan du parti (unique) "La guerre c'est la paix"(3). Orwell explique ce qu'est devenu l'Art de la guerre dans sa dystopie : "Les hélicoptères sont plus employés qu'ils ne l'étaient anciennement, les bombardiers ont été en grande partie supplantés par des projectiles à propulseurs, et le fragile et mobile cuirassé a été remplacé par la Forteresse flottante (Porte-avions) qu'il est presque impossible de couler"(4). Les guerres d'aujourd'hui, sont principalement faites d'interventions air-sol au niveau occidental. Les coalitions déploient des porte-avions ou utilisent les bases aériennes à proximité des régions contestées. Une autre raison est soulignée pour appuyer cette vision de l'art de la guerre : "Aucun des trois super-Etats ne tente jamais un mouvement qui impliquerait le risque d'une défaite sérieuse (...) il n'y a jamais aucune bataille, sauf dans les territoires disputés (...) Aucune invasion de territoire ennemi n'est jamais entreprise"(5). Si les guerres d'Afghanistan et d'Irak étaient effectivement des guerres d'invasions, elles sont aujourd'hui terminées et je doute que l'occident souhaite s'embarquer à l'avenir dans une énième guerre d'usure en mobilisant ses propres armées terriennes, tant les coûts financiers sont énormes et les résultats obtenus médiocres. Alors pourquoi s'engager sur de multiples fronts avec une poignée d'avions comme en Syrie, faisant ainsi la promesse de représailles sous forme d'attentats ?

Un exemple de ce qu'est devenue une guerre pour les USA en 2015 : BBC explique dans une vidéo YouTube (5) que durant la seconde guerre mondiale, par heure il y avait 70 décollages d'avions. En 2003, en Irak, il y en avait 40 par heure. En 2015, il y a en a 2 par heure pour combattre Daech. Il est pourtant admis officieusement que la guerre en Irak qui s'est arrêtée en 2011 avait comme motif, hormis la haine maladive que portait G.W Bush envers Saddam Hussein et le scandale des armes de destructions massives, que l'Irak n'était pas innocente dans les attentats du 11 septembre 2001 (6). L'invasion de l'Irak permis ainsi d'affaiblir la région, les Etats islamiques voisins, en installant un régime qui servirait les intérêts occidentaux. Le déclenchement de la guerre contre le terrorisme a aussi permis de justifier beaucoup plus aisément les guerres d’Afghanistan et d'Irak, Bush incarnant ainsi l'image de la lutte contre le terrorisme pour tous les américains. Il est vrai, l'administration américaine n'est plus la même qu'au début de la guerre, il est pourtant intéressant de noter que la guerre contre le terrorisme existe toujours, aussi abstraite peut-elle être, le terrorisme menace toujours nos démocraties et nulle doute que de nombreux attentats sont déjoués dans le monde chaque jour, mais étonnamment, Daech continue de fanfaronner (7).

La situation en Syrie, différente des autres guerres puisqu'il est possible de l'analyser par une multitude de points de vue. D'un côté, les occidentaux qui soutiennent les opposants du régime de Bachar el-Assad (Sunnites) en partie repris par le groupe terroriste Al-Nosra, d'un autre les Russes qui soutiennent le régime de Bachar el-Assad (Chiites). La Turquie, membre de l'OTAN achèterait illégalement du pétrole à Daech (8). Les pays du golf comme l’Arabie saoudite (Sunnites) ou le Qatar soutiennent l'occident mais financent aussi des groupes terroristes comme Al-Nosra qui n'est autre qu'une filiale d'Al-Qaïda (Sunnites) ou Daech afin de combattre Bachar el-Assad (9). Et bien sûr, il y a Daech, seul contre tous officiellement. Parce que l'on se rend bien compte ici que les éléments sont perturbants d'autant que les forces rebelles syriennes sont majoritairement composées de groupes terroristes ou de mouvements salafistes, Bachar el-Assad se sert lui aussi du terrorisme pour montrer à l'occident qu'il peut être un rempart contre le terrorisme (10). De ces faits apparaît une guerre de propagande entre la Russie et l'occident ou chacun accuse l'autre de ne pas réellement attaquer Daech, que la Russie attaque principalement les forces rebelles.

Alain Rodier, Spécialiste du terrorisme et de la criminalité organisée, ancien officier au sein des services de renseignement français, aussi directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement, ironisait ainsi: "Il est exact de dire que les Russes frappent à 80% des mouvements autres que Daech. Il faut uniquement rajouter que la plupart dépendent d'Al-Qaida." (11)

Ehud Barack, ancien premier ministre israélien a aussi dit en juin 2015 : "Daech pourrait être éliminé en deux jours" (12).

La situation est absurde parce qu'elle n'a comme unique but que de fragiliser la région et faire abandonner Bachar el-Assad, le terrorisme est important dans cette situation parce qu'il n'y a alors nul besoin d'interventions terrestres, citer Orwell en deviendrait presque logique : "C'est une lutte dont les buts sont limités, entre combattants incapables de se détruire l'un l'autre (...) ne sont divisés par aucune différence idéologique véritable"(13). Al-Nosra est une organisation salafiste, tout comme Daech par exemple, les deux sont pourtant ennemies. "L'hystérie guerrière est continue et universelle (...) et le viol, le pillage, le meurtre d'enfants, la mise en esclavage des populations (...) sont considérés comme normaux. Commis par des partisans et non par l'ennemi, ce sont des actes méritoires" (14). De nombreuses femmes sont violées, le viol est désormais une arme, utilisée par toutes les factions (15). La partie économique n'est absolument par épargnée : "Tous les territoires disputés contiennent des minéraux de valeurs et quelques-uns fournissent d'importants produits végétaux"(16). Les matériaux donnés par Orwell n'ont pas d'importance, ce qu'il l'est c'est le fait de se battre efficacement pour des intérêts économiques précis comme peut l'être le pétrole actuellement ; faire durer la guerre éternellement est un subtil moyen d'affaiblir à tout jamais une région pour y ramasser les restes le moment venu.

La guerre contre le terrorisme à la suite du 11 septembre est un élément important, c'est ce qui va redéfinir la manière dont nous faisons la guerre aujourd'hui en compagnie du terrorisme, qui est en réalité très simple à définir, c'est une guerre du bien contre le mal, c'est extrêmement manichéen, "soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous" disait Bush lors d'un discours le 20 novembre 2001 (17). Et pourtant, la définition étant si vague, si abstraite, il n'est dès lors pas possible de définir l'ennemi en lui-même, de le concrétiser, de facto, il devient nettement plus facile de désigner les personnes qui nous arrangent.

Mais finalement, quand saurons nous que nous avons gagné ?

Sources :

(1)https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Orwell

(2)https://fr.wikipedia.org/wiki/1984_(roman)

(3)Orwell, 1984, Folio, 1950, pp 265.

(4)Orwell, 1984, Folio, 1950, pp 259.

(5)Orwell, 1984, Folio, 1950, pp 260.

(6)http://www.rfi.fr/moyen-orient/20110910-irak-tourmente-attentats-11-septembre

(7)https://www.youtube.com/watch?v=mPOs9sjjjP8

(8)http://www.europe1.fr/international/premier-message-du-leader-de-daech-depuis-le-mois-de-mai-2641399

(9)http://www.thedailybeast.com/articles/2014/06/14/america-s-allies-are-funding-isis.html

(10)http://www.lepoint.fr/monde/syrie-comment-bachar-el-assad-a-utilise-l-etat-islamique-27-08-2014-1856868_24.php

(11)http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2015/10/13/31002-20151013ARTFIG00353-syrie-qui-se-cache-derriere-les-rebelles.php

(12)http://www.lemondejuif.info/2015/06/eradication-de-lei-en-deux-jours-julien-dray-ps-cite-lanalyse-dehud-barak/

(13)Orwell, 1984, Folio, 1950, pp 247.

(14)Orwell, 1984, Folio, 1950, pp 247.

(15)http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/03/04/syrie-le-viol-arme-de-destruction-massive_4377603_3218.html

(16)Orwell, 1984, Folio, 1950, pp 249.

(17)https://www.youtube.com/watch?v=3sfNROmn7bc