Eh oui, ce bloc jaune au milieu de tout ce bleu souhaiterait enfin changer de couleur. Les six pays sont sur la voie, mais tous n’en sont pas au même point.
Rappelons que le mécanisme d’adhésion est un processus long, qui demande des efforts considérables, tant financiers qu’humains : le Processus de Stabilisation et d’Association (PSA) qui a été lancé dès 1999 vise au rapprochement (et à l’adhésion éventuelle) des 6 pays des Balkans occidentaux avec l’Union Européenne. Dans ce cadre, chaque pays signe avec l’UE un Accord de Stabilisation et d’Association (ASA). Le dernier des six, l'accord avec le Kosovo, est entré en vigueur en avril dernier, soit 17 ans après le début du processus… Il faut dire que le pays n’est toujours pas reconnu par 5 des Etats-membres : Chypre, la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie et l’Espagne refusent toujours d’avaliser sa déclaration unilatérale d’indépendance de 2008 et ce, malgré sa signature en 2013 d’un accord avec la Serbie en vue de la normalisation de leurs relations. Le Kosovo reste donc pour l’instant « candidat potentiel ».
La Bosnie Herzégovine en est également à ce stade. Un ASA avait été négocié dès 2008, mais il n’est entré en vigueur qu’en 2015 car le pays ne transposait pas dans son droit national un arrêt fondamental de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Après cette entrée en vigueur, Sarajevo a pu déposer officiellement sa demande de candidature en février 2016, ce dont se réjouissent les Bosniens : plus de 70% de la population est favorable à une entrée dans l’Union. Une demande déposée n’est cependant pas encore une demande reconnue. Pour l’instant, l’Union considère que les réformes engagées ne sont pas suffisantes pour entamer le processus d’adhésion : le travail à faire notamment sur la corruption, la collusion et la réforme de l’administration est colossal, et n’est pas facilité par la structure même du pays qui compte deux entités (la République serbe de Bosnie et la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine), 3 parlements, 167 ministres… pour moins de 4 millions d’habitants !
Deux autres pays ont vu leur candidature officiellement reconnue : l’Albanie et l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM). Tirana avait déposé sa candidature en 2009 et celle-ci a été retenue en 2014. Cependant, là encore, des réformes importantes, en particulier dans le domaine de l’administration publique et des règles de procédure parlementaire, doivent être mise en œuvre avant d’espérer voir débuter les négociations d’adhésion elles-mêmes. Le Ministre des Affaires Etrangères, Ditmir Bushati, estimait dans un entretien avec Euractiv du 28 novembre que ces réformes prendraient deux à trois ans. Pour lui, le processus d’adhésion est une chance pour le pays de poursuivre son développement démocratique mais aussi économique. On se place bien dans l’optique d’un marathon et non d’un sprint, mais l’Albanie est en bonne voie et garde des objectifs clairs.
Il en va autrement de l’ARYM: officiellement candidat depuis 2005, le pays est toujours en conflit avec la Grèce concernant sa dénomination, la Grèce craignant que l’utilisation du nom « Macédoine » n’implique des visées territoriales sur sa propre région homonyme. Mais c’est surtout sa situation intérieure qui pose problème : la corruption y est endémique et des réformes d’envergure sont à mener d’urgence, notamment dans le domaine de la justice et de la décentralisation, mais la situation politique est explosive et ne permet pas de se concentrer sur ce qui devrait être essentiel: au printemps 2015, la découverte d’écoutes illégales a plongé la scène politique dans le chaos. D'après Le Monde, « on y entendait le premier ministre réclamer le versement d’un pot-de-vin de 15 millions d’euros pour la construction d’une autoroute, le chef des services secrets évoquer sur un ton guilleret la possibilité de faire violer un opposant emprisonné. Il y était aussi question de manipulation d’élections, de pressions sur des journalistes, de nominations d’amis à des postes de magistrat… ». Cela n’a pas empêché le parti au pouvoir de gagner les élections de ce dimanche 11 décembre, mais le résultat est si serré qu’il ne risque pas d’apporter la sérénité dont ce petit pays aurait bien besoin pour ne pas sombrer dans le nationalisme. L’adhésion à l’Union est dans ce contexte le moindre des soucis de ses dirigeants …
Deux autres pays font figure de bons élèves : non seulement leur candidature a été retenue, mais les négociations d’adhésion ont bel et bien commencé. Au Monténégro d’abord, où elles ont débuté en 2012 et avancent d’un bon train puisque 24 des 35 chapitres de négociation ont été ouverts, et en Serbie où l’on négocie depuis 2014 sur quatre chapitres.
Bien qu’à des stades différents, les 6 pays veulent avancer de conserve. Les WB6 (Western Balkans 6) ont donc mis au point une nouvelle stratégie pour promouvoir leur adhésion. Ils se sont pour cela appuyé sur les conseils du Groupe de Višegrad. La Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie s’étaient regroupées au début des années 1990 pour se présenter ensemble à l’adhésion, stratégie qui s’était avérée payante puisqu’elles ont rejoint l’Union en 2004. La stratégie présentée le 29 novembre à Bruxelles par les WB6 vise à redresser l’image de la région ternie par la montée des populismes et nationalismes et à présenter l’élargissement comme une solution à certains problèmes auxquels fait face l’UE. Elle cible les groupes de réflexion et États membres influents particulièrement opposés à l’accueil de nouveaux membres, mais l’un des objectifs est aussi de gagner le cœur des européens pour influencer ces décideurs. L’accent est mis sur la promotion des atouts de la région et sur la nécessité de restaurer la confiance au sein des candidats des Balkans.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le commissaire à l’élargissement, Johannes Hahn, avaient tous deux affirmé lors de leur nomination en 2014 qu’ils n’accueilleraient pas de nouveaux membres avant 2019, Juncker soulignant la nécessité de consolider ce qui a été accompli au sein des 28 États membres. Mais en juillet 2016, Hahn soulignait à l’occasion du dernier sommet des Balkans que « le Brexit ne veut pas dire que l’élargissement de l’Union européenne est fini. En fait, c’est plutôt l’inverse ». Il est important de le rappeler pour ne pas laisser ces partenaires essentiels se tourner vers des contrées plus orientales : la Russie compte bien jouer de son influence pour gagner des alliés stratégiquement extrêmement bien placés. Les dirigeants de plusieurs partis politiques des Balkans ont ainsi signé dès cet été un document de coopération avec Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine qui vise à « contrer l’expansion de l’OTAN dans la région » . Denis Zvizdic, le Premier ministre de Bosnie Herzégovine lui-même, laisse planer l’éventualité d’un rapprochement avec la Russie. Les liens, notamment économiques, de l’Union avec les WB6 devraient les faire réfléchir à deux fois, mais il ne fait aucun doute que cette liaison possible est un moyen de pression non négligeable, surtout en ces temps où la Guerre Froide ne semble plus si loin…
Certes, l’économie n’est pas tout. Ditmir Bushati, le ministre des Affaires étrangères albanais, déplorait en novembre un « manque d’âme politique » dans le processus d’adhésion : « Parfois, nous oublions que l’élargissement européen dans les Balkans est le symbole d’une Europe entière et libre ». Dans ce contexte, les mots de Dimitris Avramopoulos, Commissaire européen aux Migrations et Affaires intérieures, qui rappelle dans une tribune du 16 décembre 2016 que « les Balkans occidentaux sont l’Europe. Nous partageons un passé et un présent, mais aussi un avenir (car) les Balkans font historiquement, culturellement et, nous l’espérons dans un futur proche, institutionnellement partie de la famille européenne», ont dû lui réchauffer le cœur.