Très rapidement, après la reconnaissance du meurtre de Khashoggi par les médias américains et le régime turc, l’Allemagne fut le premier pays européen à réagir à ce scandale. La chancelière allemande Angela Merkel annonça ne plus autoriser de nouvelles exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite. Le Danemark lui emboîta le pas quelques jours plus tard, en suspendant également ses ventes d’armes. Les deux pays firent par la suite appel aux autres pays européens pour une réaction similaire commune. « Ce n’est que si tous les pays européens se mettent d’accord que cela impressionnera le gouvernement de Riyad » a affirmé le Ministre allemand des affaires étrangères, puis ce fut au tour du chef de la diplomatie danoise d’ajouter : « J’espère que la décision danoise pourra créer un élan supplémentaire ». Ces réactions européennes interviennent peu de temps après celle du président Trump, qui s’était manifesté prudemment, dans un désir de préserver son alliance « inébranlable » avec l’Arabie Saoudite.
25 octobre 2018. Devant l'ambassade d'Arabie saoudite en Turquie, hommage au journaliste Jamal Khashoggi.
Malgré cela, les autres pays européens eurent des réactions beaucoup plus modérées et diverses pour cette affaire. Pourtant, après les premières révélations, le Royaume-Uni avait vite réagi en évoquant de « graves conséquences » pour les autorités saoudiennes si elles s’avéraient responsables de la disparition du journaliste. En Belgique, le Ministre-président wallon Willy Borsus a indiqué qu’il privilégiait la concertation au niveau européen avant de se positionner. Le Ministre slovaque des affaires étrangères avait, quant à lui, évoqué son inquiétude : « Je ne peux imaginer que l’UE reste silencieuse sur cet étrange cas. J’espère une enquête ». De plus, le 16 octobre 2018, les ministres des affaires étrangères du G7 avaient réclamé, dans une déclaration commune, « une enquête approfondie, crédible, transparente et rapide », soutenue par plusieurs dirigeants au Conseil européen. Lors de la session plénière du 25 octobre du Parlement européen, les eurodéputés ont voté une résolution demandant aux Etats membres de prendre des sanctions contre l’Arabie Saoudite, jugeant « hautement improbable » que le meurtre de Khashoggi ait été mené à « l’insu » du prince héritier saoudien. Ce texte voté plaide également pour un embargo sur les ventes d’arme au pays, appelant les gouvernements à trouver une position commune en vue d’imposer cette sanction.
Cette résolution du Parlement européen intervient près d’un mois après les faits et témoigne d’un manque de fermeté de la part de certains pays européens. Face à l’affaire Khashoggi, les pays occidentaux fournisseurs d’armes à l’Arabie Saoudite doivent choisir entre leur volonté de faire pression sur Riyad d’un côté et celle de préserver leurs intérêts économiques de l’autre. L’Allemagne, ainsi que le Danemark, ont été les seuls à suspendre, dès le début de cette crise, leurs ventes aux saoudiens, mais celles-ci sont mineures comparées à celles de leurs partenaires européens, comme la France et le Royaume-Uni. Même réaction en Espagne, où le chef du gouvernement Pedro Sanchez, tout en dénonçant ce « terrible assassinat », évoqua sa priorité de défendre « les intérêts de l’Espagne ». En France, après des réactions très tempérées de la part des autorités françaises, le Ministre des Affaires étrangères et de l’Europe, Jean-Yves Le Drian, déclare à Bruxelles le 19 novembre que la France venait d’adopter des sanctions contre 18 ressortissants saoudiens en lien avec le meurtre de Khashoggi, leur interdisant l’accès au territoire national ainsi qu’à l’ensemble de l’espace Schengen. Il annonce que la France étudiait avec ses partenaires européens la possibilité d’un « mécanisme de sanctions de nature transversale, permettant à l’Union européenne de prendre à l’avenir les mesures qui s’imposent en cas de violations graves des droits de l’Homme ». En revanche, aucune annonce en matière d’exportations d’armes.
Dans cette importante crise diplomatique, le seul perdant de cette affaire est le prince Ben Salmane. En effet, l’affaire est intervenue peu de temps avant la deuxième édition du sommet économique Future Investment Initiative, qui lui aurait permis de se faire une place légitime sur la scène internationale. Le meurtre de Khashoggi a entraîné le boycott du sommet par plusieurs grands patrons américains ou personnalités politiques comme le président de la Banque mondiale, Jim Young Kim, ou encore la présidente du Fonds monétaire internationale, Christine Lagarde. Cela démontre que MBS n’est pas un homme politique différent de ses prédécesseurs, mais bien un dirigeant autoritaire, extrêmement brutal, et capable du pire vis-à-vis de ses opposants. Parallèlement, la Turquie tire un grand profit de ce scandale. En effet, le dirigeant turc Erdogan, avec ses services de renseignements, a mis en lumière les zones d’ombre de cette disparition et révélé très vite un meurtre perpétré par un commando saoudien. Il a tenu au courant les gouvernements étrangers, ainsi que les médias, sans jamais avoir ouvertement mis en cause le prince saoudien.
Cette affaire a eu un fort impact sur le régime de Riyad et sur le plan international. Des rumeurs circulent sur un possible « remplacement » de MBS à la tête du pays. Néanmoins, cette crise, qui est loin d’être terminée, relève ce paradoxe entre un désir, de la part des pays européens et internationaux, de condamner avec fermeté ce non-respect des droits de l’homme de la part de l’Arabie Saoudite, mais également cette volonté de préserver, coûte que coûte, leur alliance économique et commerciale qui les lie à ce pays, devenu si important sur la scène internationale.
Sources :
https://www.lemonde.fr/international/article/2018/10/22/de-la-disparition-a-la-crise-diplomatique-l-affaire-khashoggi-en-quatre-dates_5373008_3210.html
http://www.rfi.fr/europe/20181025-affaire-khashoggi-eurodeputes-sanctions-riyad
https://club.bruxelles2.eu/2018/10/affaire-jamal-khashoggi-les-europeens-suspendent-les-visites-ministerielles-en-arabie-saoudite/
https://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/3488617/2018/10/22/Affaire-Khashoggi-l-Europe-appelee-a-ne-plus-signer-de-contrats-d-armement-avec-Ryad.dhtml
https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/11/22/affaire-khashoggi-copenhague-suspend-ses-ventes-d-armes-a-l-arabie-saoudite_5386934_3214.html
https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/arabie-saoudite/evenements/article/affaire-khashoggi-mesures-individuelles-22-11-18
https://www.mediapart.fr/journal/international/031218/l-assassinat-de-khashoggi-une-bombe-retardement-sous-le-trone-de-mbs?utm_source=article_offert&utm_medium=email&utm_campaign=TRANSAC&utm_content=&utm_term=&xtor=EPR-1013-%5Barticle-offert%5D&M_BT=1295878540959