Un accord controversé en France
Après près de 20 ans de négociations entre l’Union européenne et les pays membres du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie), l’accord de libre-échange entre les deux puissances commerciales s’apprête à être finalisé afin de supprimer les barrières tarifaires, et plus largement de faciliter les échanges commerciaux entre les deux blocs. Mais si cet accord semble contenter la plupart des pays qui s'apprêtent à le signer, la France demeure inquiète face aux risques qui pourraient menacer sa propre agriculture. Depuis le mois de novembre, des manifestations sont organisées dans l’Hexagone, portées par des agriculteurs préoccupés des conséquences d’un tel traité sur leur activité.
Les syndicats agricoles s’inquiètent particulièrement de la concurrence déloyale avec les grandes exploitations sud-américaines et leurs normes sanitaires et environnementales moins exigeantes que les normes européennes en la matière. De leur côté, les parlementaires ont adressé à la présidente de la Commission européenne le 12 novembre dernier une tribune dans le média “Le Monde” avançant des arguments allant à l’encontre de l’accord. Ils déplorent notamment des déséquilibres dans les utilisations de pesticides, le manque de contrôles sur les produits importés (en raison des suppressions de droits de douanes), une atteinte à la politique climatique de l’UE et enfin une disparition des produits locaux sur les marchés français au profit de produits importés. Le tout fragiliserait donc considérablement le secteur agricole en Europe ainsi que la souveraineté alimentaire de l’Union.
La France faiblement soutenue face à une Union européenne quasiment unanime
Malgré des arguments mis en avant à la fois de la part des agriculteurs et d’une large partie de parlementaires français, les rencontres entre Ursula von der Leyen et les chefs d'État d’Amérique latine se multiplient pour finaliser la signature de l’accord d’ici la fin de l’année. La France fait face à une Allemagne en position de force qui défend cet accord, elle-même appuyée par une majorité des pays européens qui voient en lui une aubaine commerciale et économique. Face aux inquiétudes de Paris, Berlin entrevoit quant à elle une relance de la croissance européenne et un accès privilégié à des ressources en minerais, ressources qui bénéficieraient à son secteur automobile.
Mais dans son opposition à l’accord, l’exécutif français a cependant réussi à rallier la Pologne à sa cause. Donald Tusk partage désormais les craintes des détracteurs français du traité, notamment sur le plan du remplacement des produits locaux au profit des produits importés. Paris a également réussi à convaincre d’autres pays européens durant ces dernières semaines, notamment l’Autriche et l’Irlande. Mais l’opposition reste à ce jour fragile, et pourrait dépendre du soutien de l’Italie pour atteindre la minorité de blocage de 35% d’au moins 4 États membres dont elle aurait besoin pour rejeter l’accord ; une décision qui semble diviser l’exécutif italien.
Quel avenir pour le traité ?
Alors que Ursula von der Leyen s’est rendue ce jeudi à Montevideo en Uruguay pour finaliser les négociations commerciales en vue de la signature du traité, la perspective de la signature de l’accord se concrétise. Si cet accord commercial vient finalement à être signé, les protestations des agriculteurs pourraient être amenées à monter en Europe, particulièrement dans les pays protestataires et dans un climat déjà tendu avec la Politique agricole commune. Sur le plan géopolitique, l’application de l’accord pourrait étendre l’influence de l’Union en Amérique du Sud. Si cette éventualité n’est pas pour autant gage d’une bonne entente diplomatique, elle pourrait malgré tout ouvrir la voie à un partenariat économique très avantageux pour les 5 États membres du Mercosur et l’Union dans le futur. Cette possibilité surviendrait dans un contexte où la politique commerciale de Bruxelles avec Pékin, son premier partenaire, se tend de plus en plus, et à l’aube d’un retour au protectionnisme à Washington sous le second mandat de Donald Trump, qui s’annonce hostile aux échanges commerciaux avec l’UE.
Sources :
- GEOFFROY Romain et DURAND Anne-Aël, UE-Mercosur : pourquoi les Francais s’opposent à l’accord de libre-échange, Le Monde, publié le 16 novembre 2024, mis à jour le 21 novembre 2024, disponible via l’URL : https://www.lemonde.fr/les-decodeur...
- GJIS Camille, LEALI Giorgio et VON DER BURCHARD Hans, Mercosur : les négociations s’achèvent pendant que la France vacille, Politico EU, publié le 4 décembre 2024, disponible via l’URL : https://www.politico.eu/article/mer...
- MALINGRE Virginie, Accord UE-Mercosur : la France rallie la Pologne pour tenter de constituer une minorité de blocage, Le Monde, publié le 27 novembre 2024, disponible via l’URL : https://www.lemonde.fr/internationa...
- MALINGRE Virginie, L’Union européenne et le Mercosur annoncent un accord de libre-échange, un revers pour la France, Le Monde, publié le 7 décembre 2024, disponible via l’URL : https://www.lemonde.fr/economie/art...
- GEOFFROY Romain, IMBACH Romain et ROMAIN Manon, Accord UE-Mercosur : quelles coalitions de pays pourraient bloquer l’adoption du traité ?, Le Monde, publié le 6 décembre 2024, disponible via l’URL : https://www.lemonde.fr/les-decodeur...
- GJIS Camille et LEALI Giorgio, EU snubs France to seal huge Latin American trade deal, Politico EU, publié le 6 décembre 2024, disponible via l’URL : https://www.politico.eu/article/eu-...
- GIJS Camille, Von der Leyen jets in to seal controversial Latin America trade deal, Politico EU, publié le 5 décembre 2024, disponible via l’URL : https://www.politico.eu/article/von...