Le 8 novembre marque une date symbolique en Europe : celle à partir de laquelle, en moyenne, les femmes « travaillent gratuitement » jusqu’à la fin de l’année. Cette campagne, initiée par des organisations féministes comme Les Glorieuses et mise en avant par Manon Aubry sur X le jour même : A partir du #8novembre16h48, les femmes travailleront gratuitement jusqu'à la fin de l’année. Malgré les grands discours, il reste 14% d'écarts de salaires femmes / hommes (et même 23% si on inclut les temps partiels)»
Cela met en évidence les inégalités salariales persistantes au sein de l'Union européenne. En moyenne, l’écart salarial dans l’UE s’élève à 12,7 %, mais il varie considérablement d’un pays à l’autre, atteignant par exemple 21,3 % en Estonie. Cependant, au-delà des chiffres, cette problématique soulève des enjeux profonds liés à la justice sociale et à l’égalité des chances. Pour une analyse optimale dans ce blog, nous avons choisi de fonder nos arguments sur des données récentes, malgré le fait que peu d’analyses approfondies aient été réalisées en 2023 et 2024. Malgré ces limites, ce sujet reste pertinent et mérite une exploration attentive.
Les racines des inégalités salariales
Il est primordial de saisir que les disparités salariales entre les sexes ne se limitent pas à une différence de rémunération pour un travail équivalent. D'après la Commission européenne, « il recouvre de nombreuses inégalités liées à l'accès au travail, à la progression et à la rémunération des femmes ». Par exemple, dans le domaine des technologies de l'information, les disparités sont particulièrement évidentes. Selon une étude réalisée par Eurostat en 2022, les femmes travaillant dans ce secteur reçoivent en moyenne 18 % de moins que les hommes. Ce décalage témoigne non seulement de disparités salariales, mais également de difficultés structurelles, comme des possibilités moins élevées d'accéder à des postes de direction ou à des projets à forte visibilité, ainsi que des perceptions erronées sur les compétences techniques.
De plus, la faible proportion de femmes dans les domaines stratégiques tels que la technologie ou l'ingénierie restreint leurs perspectives économiques globales, ce qui renforce un cycle d'inégalités supplémentaires. Leur sécurité financière, leur capacité à accumuler des richesses et, à long terme, leur accès à une retraite digne sont directement affectés par cette dynamique.
Cela est notamment influencé par de multiples facteurs :
- La ségrégation professionnelle : environ 24 % des écarts sont liés à la surreprésentation des femmes dans des secteurs moins bien rémunérés comme l’éducation ou les soins de santé.
- Le plafond de verre : les femmes occupent moins souvent des postes de direction. En 2021, elles ne représentaient que 35 % des cadres dans l’UE, avec un écart de rémunération horaire de 23 % dans cette catégorie.
- Les charges domestiques : les femmes consacrent davantage de temps au travail non rémunéré (tâches ménagères, garde d’enfants), ce qui influence leur participation à la population active et leur accès à des emplois à temps plein.
- La discrimination directe : bien qu’illégale, des différences de salaire persistent pour un même poste et un travail de valeur égale.
Des disparités selon les pays
Les écarts varient considérablement entre les États membres. Par exemple, au Luxembourg, l’écart est négatif (-0,7 %), ce qui reflète des politiques proactives de transparence salariale et de promotion de l’égalité. En revanche, en Estonie, où l’écart atteint 21,3 %, les disparités sont influencées par une forte ségrégation sectorielle et un manque de représentation des femmes dans les postes de direction. Ces différences soulignent l’impact des politiques publiques et des contextes culturels sur les inégalités salariales.
Les initiatives de l’Union européenne
Face à ces inégalités, l’Union européenne a pris des mesures concrètes. En 2023, elle a adopté une directive sur la transparence salariale, qui impose aux entreprises de publier des informations sur les rémunérations et d’intervenir en cas d’écart salarial supérieur à 5 %. Cette directive inclut également des dispositions pour indemniser les victimes de discrimination salariale et prévoit des sanctions, telles que des amendes, à l’encontre des employeurs qui ne respecteraient pas ces règles.
Entrée en vigueur le 10 mai 2023, cette directive doit être transposée dans les législations nationales des États membres dans un délai maximal de trois ans. Cette initiative marque une étape importante dans la lutte contre les inégalités salariales, en renforçant la transparence et en incitant les entreprises à corriger les disparités existantes.
Cependant, cette directive rencontre plusieurs obstacles. Par exemple, dans certains États membres, les systèmes juridiques ne disposent pas encore des outils nécessaires pour contrôler efficacement ces obligations, et les sanctions prévues restent souvent trop faibles pour être dissuasives. De plus, les entreprises de petite taille, qui représentent une part importante du tissu économique européen, expriment des difficultés à se conformer aux exigences de transparence en raison du manque de ressources administratives. Cette directive s'inscrit dans la stratégie pour l'égalité des genres 2020-2025, qui vise à réduire l’écart salarial dans toute l’Europe.
Analyse critique
Malgré ces progrès, les avancées restent lentes. Entre 2012 et 2022, l’écart salarial n'a diminué que de 3,7 points en moyenne dans l'UE. Les stéréotypes de genre, la ségrégation professionnelle et le manque de représentation des femmes dans les postes de pouvoir freinent les progrès. De plus, certaines réformes, comme la transparence salariale, peinent à être appliquées uniformément.
Pour aller plus loin, l’UE pourrait renforcer les sanctions contre les entreprises fautives, encourager un partage plus égal des congés parentaux et promouvoir des initiatives éducatives pour lutter contre les stéréotypes.
Conclusion
L’égalité salariale est non seulement une question de justice, mais également un levier économique pour l’Europe. Par exemple, une étude de McKinsey estime que la réduction des inégalités salariales pourrait ajouter jusqu'à 10 % au PIB de l’Union européenne d’ici 2030. De plus, des initiatives telles que la promotion de l'égalité dans les entreprises ont montré qu’elles augmentent la productivité et améliorent l’engagement des employés, renforçant ainsi la compétitivité économique. Si des progrès ont été réalisés, beaucoup reste à faire pour que le 8 novembre devienne une date du passé. L’Union européenne doit continuer à jouer un rôle moteur pour que l’égalité des chances devienne une réalité dans tous ses États membres.
Sources :
- Eurostat. (2022). Statistiques officielles. Disponible sur : https://ec.europa.eu/eurostat
- Commission européenne. (2023). Transparence des rémunérations. Disponible sur : https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/pay-transparency/
- European Institute for Gender Equality (EIGE). (2021). Rapports d’études. Disponible sur : https://eige.europa.eu
- Les Glorieuses. (2022). 8 novembre 16h48. Disponible sur : https://lesglorieuses.fr/8novembre16h48/
- INSEE. (2022). Les inégalités salariales entre les femmes et les hommes. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/7766515
- Vie Publique. (2022). Les inégalités salariales persistent entre les femmes et les hommes. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/en-bref/274730-les-inegalites-salariales-persistent-entre-les-femmes-et-les-hommes
- Toute l’Europe. (2022). Égalité femmes-hommes : quelles mesures dans l’UE ? Disponible sur : https://www.touteleurope.eu/societe/egalite-femmes-hommes-quelles-sont-les-mesures-prises-par-l-union-europeenne-depuis-cinq-ans/
- Euronews. (2024). Comment les États membres se comparent-ils en termes de rémunération entre hommes et femmes ? Disponible sur : https://fr.euronews.com/next/2024/03/08/remuneration-entre-les-hommes-et-les-femmes-en-europe-comment-les-pays-se-comparent-ils-en
- Juritravail. (2023). Transparence des rémunérations : nouvelles exigences européennes. Disponible sur : https://www.juritravail.com/Actualite/transparence-des-remunerations-7-points-pour-comprendre-les-nouvelles-exigences-europeennes/Id/376662
- McKinsey. (2021). L’impact économique de la réduction des inégalités salariales. Rapport interne.