“Chat control” : l’Union européenne renonce au scan automatique de nos réseaux sociaux
Succès ou revers pour la Commission européenne après l’abandon, le 30 octobre 2025, d’une des mesures les plus controversées du projet de règlement européen dite “Chat control”. Proposée par l’institution européenne en mai 2022 à l’initiative de la commissaire aux affaires intérieures Ylva Johansson, ce règlement devait créer un cadre législatif contraignant et harmonisé à tous les pays de l’UE pour détecter, signaler et supprimer les contenus pédocriminels en ligne et limiter conséquemment la pratique du grooming – sollicitation d’enfants sur Internet à des fins sexuelles. Un but légitime plus que nécessaire lorsqu’on sait que plus de 50 % des contenus échangés sur les forums pédocriminels viennent des publications partagées sur la Toile par les parents.
Une mesure vers la surveillance de masse ….
Si ce projet de règlement européen connu sous le nom de CSAR (Child Sexual Abuse Regulation) a tant enflammé les débats à Bruxelles, c’est pour une disposition très spécifique. Effectivement afin de lutter efficacement contre la pédocriminalité, celle-ci introduit un scan obligatoire des conversations privées sur plusieurs réseaux sociaux connus pour la confidentialité de leurs échanges – Whatsapp, Telegram ou Signal, ce dernier menaçait même de se retirer du marché européen. Ce scan se serait traduit par un Client Side Scanning (Scan Côté Client) qui désigne le fait pour une plateforme de scanner tous contenus avant même sa publication. Concrètement, le scan automatique intervient directement sur le support d’envoi (téléphone, ordinateur, montre connectée…) puis effectue une comparaison avec une base de données regroupant les éléments interdits.
De fait, cette mesure de scan, en plus d’inquiéter les maisons mères des applications concernées, fragilisent le chiffrement des données de bout en bout – système de codification des données qui les rend illisibles sans la clé de déchiffrement – et créait une backdoor – soit un accès détourné intégré au logiciel qui permet d’accéder au système sans passer par les contrôles d’authentification – prompte au vol de données des utilisateurs. De plus, sont dénoncés les risques de surveillance de masse d’autant que les Etats auraient été à l’origine, via des ordres de détection, des types de contenus recherchés. Enfin, le scan étant effectué par une IA d’autres risques émergaient : faux-positifs, conservation des données…
… ou la protection de notre vie privée ?
En bref, un scénario à la “Big Brother” critiqué par certains Etats membres, des associations et même les plateformes - ironie du sort quand l’étude interuniversitaire Facebook Shadow Profile démontre que Meta peut suivre près de 40% du temps de navigation des utilisateurs et non-utilisateurs de Facebook. L’abandon du “Chat control” par le Danemark lors de sa présidence du Conseil de l’UE ravit donc les défenseurs des libertés numériques et du droit à la confidentialité des correspondances qui criaient à la violation de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et autres réglementations européennes. Toutefois, au nom de la protection des enfants face à l’exploitation sexuelle, les discussions se poursuivent. Le compromis “Chat control 2.0” actuellement débattu induirait une détection ciblée “volontaire” des contenus accompagnée d'exemptions pour les services chiffrés et d’un contrôle judiciaire renforcé avant tout ordre de détection.
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Espérons que ces amendements sauront mettre d’accord les Vingt-Sept et ainsi mettre fin à ce feuilleton qui connaît plus d’épisodes que nécessaire. L'enjeu de la protection des enfants face aux dangers du numérique apparaît plus qu’urgent quand il est révélé que 62% des contenus pédopornographiques sont hébergés sur des serveurs situés au sein de l’UE. L’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris quant à la “promotion du suicide” par les algorithmes de réseaux sociaux populaires comme TikTok alerte également de façon plus générale sur les enjeux de la protection des enfants face aux dangers du numérique. Il revient donc à l’UE de se doter d’un appareil réglementaire commun le plus rapidement possible pour enrayer ces abus. Cependant, l’UE court après le temps puisque la présente réglementation encadrant la détection des contenus pédocriminels prend fin en avril 2026. Cet abandon ne marque toutefois pas la fin du CSAR puisque circule au sein des couloirs européens, en plus des discussions bilatérales avec les Etats les plus récalcitrants à franchir cette ligne rouge, la rumeur d’un vote en décembre.
Bibliographie :
Vincent Lequeux, « Podcast Vers une “surveillance de masse” avec le projet européen “Chat Control” ? »
Florian Chaaban, « Vie privée : l’Union européenne abandonne le projet de surveillance “Chat control” ».
« Chat Control » : 5 minutes pour comprendre la polémique sur cette législation européenne - Le Parisien, https://www.leparisien.fr/high-tech/chat-control-5-minutes-pour-comprendre-la-polemique-sur-cette-legislation-europeenne-07-10-2025-W64ATFJCE5FLRNV7G5STR4OXXA.php.
Luis Aguiar, Christian Peukert, Maximilian Schäfer, et Hannes Ullrich, « Facebook Shadow Profiles », 2024.
TikTok : une enquête ouverte en France contre l’appli accusée de pousser les plus «vulnérables vers le suicide»,https://www.msn.com/fr-fr/actualite/other/tiktok-une-enqu%C3%AAte-ouverte-en-france-contre-l-appli-accus%C3%A9e-de-pousser-les-plus-vuln%C3%A9rables-vers-le-suicide/ar-AA1PNHBc?ocid=BingNewsVerp.