Steaks végétaux : un mot qui divise encore l’Europe
Tout en affichant ses ambitions environnementales et son engagement pour le Green Deal, l’Union européenne révèle ses contradictions lorsqu'il s'agit du vocabulaire alimentaire. Le 8 octobre 2025, les eurodéputés ont rouvert un dossier censé être clos, votant l’interdiction d’utiliser les désignations « steak », « hamburger » et « saucisse » pour des alternatives végétales.
Tout en affichant ses ambitions environnementales et son engagement pour le Green Deal', l’Union européenne révèle ses contradictions lorsqu'il s'agit du vocabulaire alimentaire. Le 8 octobre 2025, les eurodéputés ont rouvert un dossier censé être clos, votant l’interdiction d’utiliser les désignations « steak », « hamburger » et « saucisse » pour des alternatives végétales.
Ce vote, largement soutenu (355 voix pour, 247 contre), a ravivé des divisions européennes qui dépassent l’étiquette. Derrière l'amendement, glissé dans une réforme agricole plus large, se joue une bataille de lobbies.
D’un côté, on trouve les défenseurs de l'interdiction, portés par l'industrie de la viande et la droite européenne, dont la législatrice française Céline Imart. Leur argument est d’éviter la confusion du consommateur. Pour eux, un « steak » est par définition une partie comestible d'un animal, comme le définit l'UE depuis 2004. Utiliser cette appellation pour du tofu ou des légumineuses serait « profiter de la réputation » des produits carnés et serait « trompeur ». Un boucher interrogé résume ce point de vue pragmatique : « Pour moi, un steak, c’est de la viande. »
Mais il est étrange d’évoquer la clarté linguistique pour le terme « hamburger », un anglicisme récent sans enracinement historique pour les langues européennes, ou même « saucisse », dont le latin signifie « assaisonné avec du sel ». Selon El Pais, ce débat soutient que le citoyen aurait besoin d'une « tutelle linguistique » pour savoir qu’un « steak végétal » n’est pas de la viande.
De l’autre côté, les organisations environnementales (Greenpeace, WWF), les défenseurs des droits des animaux et l'industrie du végétal dénoncent une mesure « stupide » et « trop stricte ». Ils y voient une manœuvre politique visant à freiner l'essor des protéines alternatives, pourtant essentielles dans la lutte contre le changement climatique et pour une agriculture plus durable.
Pour les entreprises comme HappyVore, spécialisée dans les alternatives, l’impact est chiffré. Changer le vocabulaire impliquerait des coûts de plusieurs millions pour refaire les emballages, et ferait perdre de la visibilité en ligne. « Les gens tapent steak végétal sur Internet. Si ce terme disparaît, ils ne nous trouveront plus », explique un co-créateur de la marque. Une dynamique de croissance annuelle de près de 19 % pour le marché du végétal pourrait en être ralentie.
Ce n'est pas la première fois que l'UE débat sur ce thème et le lobby de la viande prend l’exemple victorieux de 2017 : l'interdiction d'utiliser les termes « lait », « yaourt » ou « fromage » pour des produits non issus de la traite d'un mammifère.
Toutefois, ce précédent est trompeur. La bataille du « lait » visait, selon certains, à récupérer le capital culturel et publicitaire accumulé pendant des années. La lutte actuelle autour du « burger » et du « steak » est avant tout une bataille pour les parts de marché entre deux gigantesques lobbies : celui de la viande et celui des ultra-transformés végétaliens.
D'ailleurs, des sondages montrent que la majorité des citoyens européens (plus de 70 %) ne se sentent pas confus par des appellations comme « hamburger aux lentilles » ou « saucisse de tofu ». Ce que les consommateurs demandent, c'est le droit de lire sans loupe la composition réelle de leurs aliments, qu’ils soient carnés ou végétaux.
En attendant les négociations avec la Commission et le Conseil de l’UE, le Parlement a réussi son coup d'éclat symbolique. Mais l’ironie réside dans une anecdote rapportée : des hamburgers végétariens auraient été servis à la cafétéria du Parlement le lendemain du vote de restriction.
Toutefois, c'est tout l'équilibre de la transition alimentaire européenne qui est en jeu. En protégeant des mots au détriment de l'incitation à des régimes plus durables, l'Europe envoie un signal ambivalent. Un simple mot comme « steak » continue d'incarner deux visions de l'agriculture européenne de demain : éthique et environnement VS intérêts industriels et protectionnisme sémantique.
Sources : - Politico, « EU lawmakers back ‘veggie burger’ ban », https://www.politico.eu/article/eu-lawmakers-back-veggie-burger-ban/, 8 oct. 2025 - El Mundo, « El Parlamento Europeo prohíbe el uso de los términos 'hamburguesa' o 'salchicha' para productos veganos », https://www.elmundo.es/economia/2025/10/09/68e76342e85ecefc4f8b45c4.html, 9 oct. 2025 - France 3 Régions, «"Pour moi, un steak, c'est de la viande" : le Parlement européen ravive la guerre des mots sur le steak végétal » https://france3-regions.franceinfo.fr/centre-val-de-loire/pour-moi-un-steak-c-est-de-la-viande-le-parlement-europeen-ravive-la-guerre-des-mots-sur-le-steak-vegetal-3231437.html, 11 oct. 2025 - ABC, « Europa acuerda la prohibición de llamar hamburguesa o salchicha a productos veganos » https://www.abc.es/sociedad/europa-acuerda-prohibicion-llamar-hamburguesa-salchicha-productos-20251012185321-nt.html?ref=https://www.abc.es/sociedad/europa-acuerda-prohibicion-llamar-hamburguesa-salchicha-productos-20251012185321-nt.html, 12 oct. 2025 - El País, « ¿Quién teme a la hamburguesa vegetal? », https://elpais.com/gastronomia/2025-10-17/quien-teme-a-la-hamburguesa-vegetal.html, 17 oct. 2025
Images : - L214 Ethique et Animaux, Facebook, 9 oct. 2025 - Image d'illustration. Mercredi 8 octobre, le Parlement européen a voté l’interdiction de l’usage de termes comme "steak", "saucisse" ou "hamburger" pour des produits ne contenant pas de viande. ALEXANDRE CHASSIGNON / FRANCE BLEU MAINE