44588640772_490fca3dc3_c.jpg Jean-Claude Juncker devant le Parlement européen le 12 septembre 2018 lors du déclenchement de l'Article 7 à l'encontre de la Hongrie . © European Union 2018 - European Parliament

Le 16 novembre 2020, les ambassadeurs des Etats membres de l’Union européenne se sont retrouvés afin de voter le budget européen et le plan de relance économique suite à la pandémie de la Covid-19. La Pologne et la Hongrie ont utilisé leurs droits de veto pour bloquer ces mesures économiques, la Slovénie les a soutenu. Pour quelle raison ? L’Allemagne qui préside le Conseil de l’UE pendant 6 mois souhaite conditionner l’éligibilité des fonds européens au respect des valeurs de l’UE énoncées dans l’article 2 du Traité de l’Union européenne. Cette menace vise particulièrement la Pologne et la Hongrie. En effet, depuis 2017, la Pologne est sous le joug d’une sanction européenne prévue par l’Article 7 du Traité de l’Union européenne. Le 12 septembre 2018, la Hongrie est également visée par le déclenchement de l’Article 7 au Parlement européen.

L’Article 7, un instrument juridique flou

L’Article 7, situé dans le titre I traitant des Dispositions communes, est introduit dans le traité d’Amsterdam de 1997. Il renvoie directement au respect de l’Article 2 : « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. ». En effet, cet article a pour but de protéger les valeurs de l’UE suivant un processus détaillé dans ses paragraphes. Deux mécanismes apparaissent dans l’Article 7, un mécanisme de prévention en cas de risque grave de violation de l’Article 2 ou un mécanisme de sanction en cas de violation du même article. Les deux mécanismes ne se déclenchent pas de la même manière, le processus et les acteurs diffèrent.

L’Article 7 ne présente pas clairement les sanctions effectives suite à son utilisation. Elles n’ont pas été définies dans le Traité d’Amsterdam. Il est fait mention d’une suspension « de certains des droits découlant de l'application des traités à l'État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil ». La question est surtout de déterminer si l’Union européenne pourrait appliquer réellement des sanctions hors du champ économique aux Etats.

Pour mieux comprendre le mécanisme de l’article 7, le Parlement a réalisé une infographie complète.

Les freins de l’Article 7

L’Article 7 présentent en premier lieu des procédures trop longues et trop fastidieuses. Il y a un renvoi du dossier à une autre instance à chaque décision.

Pour exemple, le 20 décembre 2017, la Commission européenne déclenche la procédure de l’Article 7 envers la Pologne suite à un risque de violation de l’indépendance de la justice et de donc de l’Article 2. La Pologne a été auditionnée à trois reprises par le Conseil des Affaires Générales, conseil réunissant les ministres des affaires européennes des Etats membres et représenté par le commissaire en charge des relations interinstitutionnelles.

Lors des auditions, les pays alliés ou ayant de fortes relations avec la Pologne n’ont pas posé de question. Cela montre la difficulté de l’Article 7 à agir, le manque de position de certains pays conditionne le vote qui doit se dérouler par la suite, si ce vote a lieu.

En effet, il y a aussi la question de la présidence du Conseil, les questions politiques ne seront pas les mêmes selon les présidences. En 2019, la présidence roumaine n’a jamais évoqué l’Etat de droit lors des six Conseil des affaires générales qui se tenaient. Les procédures peuvent donc être suspendues pendant 6 mois, selon les choix de la présidence du Conseil.

Les députés européens pourraient faire accélérer le processus en interpellant le Parlement lors de séances parlementaires, afin de rappeler que le processus est en cours. Mais le Parlement ne détient que le rôle déclencheur du mécanisme et délaisse ensuite la procédure au Conseil de l’UE. Une fois passée le Parlement, les députés européens n’ont plus de moyens d’actions.

Le déclenchement de l’Article 7 n’a pas eu de réels effets sur le gouvernement polonais. Seuls les recours devant la Cour de Justice de l’Union européenne et les procédures en infraction de la Commission ont joué dans les réformes du système judiciaire polonais.

La présidence tournante du Conseil de l’UE doit être un acteur moteur dans le processus de l’Article 7. Si celle-ci n’agit pas, cet article est incapable d'endiguer les violations de l’Etat de droit.

L’Article 7, la véritable défense de l'Etat de droit ?

La procédure de l’Article 7 est présentée comme la défense de l’Etat de droit en Europe. Son déclenchement envers la Pologne et la Hongrie a suscité de nombreuses réactions de la part des gouvernements et des commentateurs européens. Ces deux pays ont été pointés du doigt par le Parlement et par toute l’Europe, c’est une humiliation.

Cependant, la procédure est longue et compliquée à exécuter. Pour preuve, ces deux utilisations n’ont jamais été menées à leurs termes. Et si elles arrivaient devant le Conseil européen, la sanction doit être votée à l’unanimité moins une voix (celle du pays visé) donc si ce pays a un allié politique au sein des membres, l’application de l’Article 7 ne sera jamais votée. La professeure agrégée de Droit et spécialiste de l’Union européenne, Laurence Burgorgue-Larsen, présente ainsi l’Article 7 comme étant « non juridictionnelle et surtout symbolique ». Le symbole d’une Union européenne supranationale.

Sources :

- Article 7, Titre I - Dispositions communes | Journal officiel de l’Union européenne, 7 juin 2016, p.19, Consulté le 12 décembre 2020, URL : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A12016M007

- « La Hongrie et la Pologne bloquent le budget et le plan de relance européens », Le Figaro, 16 novembre 2020, Consulté le 12 décembre 2020, URL : https://www.lefigaro.fr/international/la-hongrie-et-la-pologne-bloquent-le-budget-et-le-plan-de-relance-europeens-20201116

- « Les procédures de « l’Article 7 » contre la Pologne et la Hongrie : quels effets concrets ? », Institut Delors, 22 mars 2019, Consulté le 12 décembre 2020, URL : https://institutdelors.eu/publications/les-procedures-de-larticle-7-contre-la-pologne-et-la-hongrie-quels-effets-concrets/

- Respect de l'état de droit dans les États membres : que peut faire l'UE ? (infographie)  | Actualité Parlement européen, 12 septembre 2018, Consulté le 12 septembre 2020, URL : https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/eu-affairs/20180222STO98434/etat-de-droit-comment-fonctionne-l-article-7-infographie

- Violation des valeurs de l'UE : comment fonctionne la procédure de sanctions (article 7) ? | Toute l’Europe, 22 septembre 2020, Consulté le 12 décembre 2020, URL : https://www.touteleurope.eu/actualite/violation-des-valeurs-de-l-ue-comment-fonctionne-la-procedure-de-sanctions-article-7.html