Une loi jugée incompatible avec les normes relatives européennes
Le 15 décembre 2020, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, s’est adressée par courrier aux membres de la Commission des lois de la Chambre haute et à son président afin d’amender la proposition de loi dite de « Sécurité globale ». C’est la première mention européenne officielle à l’encontre de la France depuis la présentation de la loi devant l’Assemblée le 24 novembre 2020. Elle estime que « l’interdiction érigée par l’article 24 constitue une atteinte au droit à la liberté d’expression, laquelle inclut la liberté d’informer ». Cette loi est cependant passée à l’Assemblée nationale. L’article 24 va faire l’objet d’une réécriture par les députés avant d’être envoyé au Sénat. C’est donc à ces destinataires de veiller à l’intégrité de cet article et de son respect de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Celui-ci stipule que « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière ». Le Conseil de l'Europe ne pourra cependant pas contraindre l'Etat à modifier cette loi, cette institution n'a qu'un rôle moral sur les gouvernements.
Des faits heurtant la presse européenne
Le 27 novembre 2020, le Tageszeitung, quotidien allemand, titre « Brutes et racistes » pour évoquer les images survenues le 21 novembre dans le studio de Michel Zecler. Le quotidien fait un parallèle direct avec la mort de George Floyd, mort le 25 mai, suite à une interpellation policière à Minneapolis. The Guardian évoque la question sensible de cette loi qui est « l’intention de nuire ». La police est seule juge et seule actrice lors des faits. Le quotidien insiste que cette loi peut conduire à des dérives autoritaires telles qu’une surveillance des journalistes ou peut mener à dissuader certains journalistes d’exercer leur profession. Le quotidien bavarois Süddeutsche Zeitung rappelle un autre fait jugé mineur mais symbolisant une violence de fait : les altercations lors du blocage du lycée Colbert à Paris. Les lycéens et journalistes présents devant le lycée ont été la cible d’un usage excessif de gaz lacrymal. Le quotidien suisse Le Temps évoque quant à lui une réelle remise en cause de la liberté de presse, tout en rappelant des violences policières en Suisse et les scandales que cela à causé au sein de l’institution policière. Face à cela, l’Espagne a voté en 2015 la Loi de sécurité citoyenne, connue sous le nom de « Loi bâillon » interdisant de filmer les policiers.
Une levée de bouclier menant à nouveau à des violences
Manifestation du 19 décembre devant le Conseil d'Etat. ©Arrystide
La proposition de loi dite de « Sécurité globale » avait également fait l’objet d’une remarque de la part de la Défenseur des droits française, Claire Hédon qui évoquait un risque envers le respect de plusieurs droits fondamentaux. Des corps de métier comme les journalistes ou avocats sont également montés au créneau pour défendre la liberté d’informer, sans avoir besoin d’accréditation, sans risque de se prendre un projectile de LBD ou de se voir détruire son appareil comme on a pu voir lors de manifestations récentes.
Les manifestations qui se sont répétées pour interpeler sur cette loi ont connu également de nombreux excès de violence, tant de la part des manifestants que des policiers. La question est de savoir si cette violence est proportionnelle et si elle est légitime. Comment accuser une femme ou un homme encerclée, insultée, mis sous pression lors de manifestation alors qu’ils n’exercent que leur profession, ils suivent une stratégie définie et ordonnée par des représentants de l’Etat élu ou nommé. Le commandement est censé devoir porté la responsabilité des faits. De plus, la formation est un enjeu majeur dans le maintien de l’ordre. Comparé aux Etats européens, la France mène une formation accélérée de 8 mois en école et 16 mois sur le terrain. Celle-ci est de 3 ans en Allemagne. Les méthodes de maintien de l'ordre sont également bien différents, l'Allemagne disposant "uniquement" de canons à eau pour disperser la foule tandis qu'en France, les grenades de désencerclement, les lacrymogènes ou encore les LBD inondent le pavé lors de manifestations.
Une remarque de la part d’un élu ou du président suscite de nombreuses manifestations non-déclarées ou rassemblements devant des logements d’élus de la part des forces de l'ordre. Les policiers veulent se sentir soutenu, accompagnés, la police est en premier lieu la défense citoyenne, mais qu’en-est-il quand la population en a peur. La loi n’encourage pas le dialogue entre la population et l’institution policière, elle créée une fracture nette entre une institution républicaine défendue par un Etat l’utilisant comme bon lui semble.
Sources :
« Doit-on pouvoir filmer la police ? », Yan Pauchard, Le Temps, 19 novembre 2020. Consulté le 2 janvier 2021. URL : https://www.letemps.ch/suisse/doiton-pouvoir-filmer-police
« France : l’inquiétante loi sur la “sécurité globale” », Carolin Lohrenz, Courrier International, 16 novembre 2020. Consulté le 2 janvier 2021. URL : https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-letranger-france-linquietante-loi-sur-la-securite-globale
« Loi de sécurité globale » | Vie publique, 8 décembre 2020. Consulté le 2 janvier 2021. URL : https://www.vie-publique.fr/loi/277157-loi-de-securite-globale-police
« Policiers, souriez : vous ne serez bientôt plus filmés », Ismaël Halissat, Libération, 12 novembre 2020, p. 2‑3. Consulté le 2 janvier 2021.
« Sécurité Globale : l’article 24 est "une atteinte à la liberté d’expression" estime le Conseil de l’Europe », Euractiv, 18 décembre 2020. Consulté le 2 janvier 2021. URL : https://www.euractiv.fr/section/affaires-publiques/news/securite-globale-larticle-24-est-une-atteinte-a-la-liberte-dexpression-estime-le-conseil-de-leurope/