Visite de la vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili au Qatar pour rencontrer Ali bin Samikh Al Marri, ministre du Travail, le 31 octobre 2022




• Une grande enquête anti-corruption démarrée discrètement à l’été 2022

Cela faisait plusieurs mois que le parquet fédéral belge enquêtait silencieusement sur un potentiel réseau de corruption au sein du Parlement européen. La justice soupçonne en effet le Qatar d'influencer les décisions politiques de l’organe législatif de l’Union européenne en versant d’importantes sommes à des personnalités politiques. Ceci dans le but de défendre l’organisation de la coupe du monde par la pétromonarchie du Golfe. A l’issue de cette vaste enquête anticorruption, cinq interpellations et seize perquisitions ont eu lieu vendredi 9 décembre à Bruxelles. Parmi les personnalités soupçonnées d’avoir reçu les faveurs du Qatar, se trouve la vice-présidente du Parlement Européen, Eva Kaili, son compagnon Francesco Giorgi, l’ancien eurodéputé Pier Antonio Panzeri et le patron de la Confédération internationale des syndicats, Luca Visentini. Ils ont tous les quatre été inculpés et écroués le dimanche 11 décembre pour « appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d’argent et corruption » selon le communiqué du parquet belge.

La vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaili n’a pas pu bénéficier de son immunité parlementaire car l’infraction qui lui a été reprochée a été constatée en flagrant délit puisqu’elle était en possession de sac d’argent lorsque la police l’a interpellé. De nombreux cadeaux en provenance du Qatar ont aussi été retrouvés à son domicile et le père de la députée a été intercepté avec une mallette contenant 600 000 euros qu’il s’apprêtait à ramener en Grèce. Pier Antonio Panzeri, ancien eurodéputé italien était également en possession de 600 000 euros en liquide lorsque son domicile a été perquisitionné. Au total, les autorités belges ont saisi 1,5 millions d’euros.

• Un scandale explosif en pleine Coupe du monde

Le « Qatargate » a éclaté la veille d'une session plénière du Parlement européen à Strasbourg, où le Qatar, décrié pour le non-respect des droits des travailleurs lors de la construction des infrastructures pour le Mondial de football 2022, devait inévitablement resurgir dans les débats. Certains eurodéputés du groupe S&D dont fait partie Eva Kaili avaient défendu à plusieurs reprises le Qatar notamment dans les discussions sur les conditions d’organisation de la Coupe du monde 2022 et s’étaient opposés à débattre la résolution proposée par Manon Aubry qui condamne « la mort de milliers de travailleurs migrants » durant la construction de stades. Le groupe social-démocrate semblait aussi hostile envers les Émirats arabes unis, concurrent régional du Qatar.

Dans le cadre de son mandat de vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaili était en particulier chargée des relations avec le Moyen Orient. Elle s’était rendue à Doha avant le début de la Coupe du monde afin de rencontrer le ministre qatari du travail qu’elle a félicité pour les réformes entreprises et avait récemment vanté lors d’une intervention à Bruxelles les progrès du Qatar en termes de droit du travail soutenant que l’émirat gazier était le « précurseur » en la matière. Pier Antonio Panzeri, avait également soutenu que le Qatar est « une référence en matière de droits humains ».

• Consternation au Parlement européen

La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a convoqué lundi 12 décembre une réunion des présidents de groupes à Strasbourg pour évoquer l'enquête judiciaire en cours. « La démocratie européenne est attaquée », a-t-elle lancé dans l’émotion. Elle a tenu à souligner qu’il n’y aura « aucune impunité (…), rien ne sera mis sous le tapis (…). Nous allons secouer ce Parlement ». A cet effet, la présidente du Parlement européen a proposé aux eurodéputés de retirer à Eva Kaili son titre de vice-présidente et de repousser le vote qui était prévu sur l’exonération de visa pour les Qataris qui veulent venir en Europe. Sans surprise, les députés européens ont officiellement voté la révocation d’Eva Kaili de son poste de vice-présidente avec 625 voix pour. Le groupe social-démocrate s’est également désavoué d’Eva Kaili et l’a exclu du parti.

En outre, l'Autorité grecque de lutte contre le blanchiment d'argent a gelé tous les avoirs d'Eva Kaili et de ses proches.

• Que va-t-il se passer ensuite ?

L’audience de comparution d’Eva Kaili a été reportée au 22 décembre.

En attendant, les députés européens ont décidé de suspendre « tous les travaux sur les dossiers législatifs relatifs au Qatar ». Ces travaux concernent la libéralisation des visas pour les Qataris dans l'Union européenne mais aussi l'accord de ciel ouvert entre le Qatar et l'Europe. Le Qatar quant à lui, « rejette fermement » les accusations dont il fait l'objet, et regrette « les jugements fondés sur les informations inexactes révélées par des fuites sans attendre la conclusion de l'enquête » selon le communiqué d’un diplomate qatari.

Le scandale de corruption qui vient d’éclater au sein du Parlement européen montre certaines failles au sein des institutions européennes, il illustre en particulier le besoin de changement et de réformes au Parlement européen face à la pression des lobbies sur ses membres.

La présidente de la Commission, Ursula Von Der Leyen, qui avait autrefois proposé la création d’une autorité indépendante sur les questions d’éthique, a également exprimé sa préoccupation « c'est une question de confiance dans les personnes au cœur de nos institutions. Cette confiance suppose des standards élevés d'indépendance et d'intégrité », a-t-elle déclaré.

L’affaire, si elle est confirmée par la justice, pourrait mettre en lumière tout un réseau de corruption car pour l’ONG Transparency International, « il ne s’agit pas d’un incident isolé ». A cet égard, le parquet fédéral belge se penche en ce moment même sur des pots-de-vin que le Maroc aurait également versé à des eurodéputés.

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