Un grand choc pour l’Europe s’est passé dimanche, le 24 novembre 2024. C’est la victoire bouleversante de Calin Georgescu, un indépendant d’extrême droite, dans le premier tour de l’élection présidentielle en Roumanie. Les sondages ont montré Monsieur Georgescu avec un soutien de moins de 10 pour cent et donc pas favorisé, mais au final il a gagné 23 pour cent des voix. Il y aura alors un deuxième tour le 8 décembre entre Monsieur Georgescu et la libérale Elena Lasconi, qui a elle-même reçu 19 pour cent des voix. Le premier a promis d’arrêter toute l’aide roumaine à l’Ukraine et a attaqué l’OTAN—dont la Roumanie est membre depuis 2004, 3 ans avant son adhésion UE—notamment condamnant son bouclier de défense antimissile balistique de Deveselu comme “honte de la diplomatie.”
On dirait que l’ascension de Monsieur Georgescu se rappelle celle des autres chefs prorusse dans l’Europe de l’Est, notamment Viktor Orban en Hongrie et Robert Fico en Slovaquie. Néanmoins, la situation en Roumanie reste différente au fond. Tout d’abord, les Roumains restent notamment plus favorables envers l’UE et l’OTAN que leurs voisins. En outre, le pays est beaucoup plus grand, avec 19 millions d’habitants—c’est-a-dire, deux fois celle de la Hongrie et quatre fois celle de la Slovaquie. Cette grande taille de la Roumanie, bien sûr, a créé de la consternation parmi les élites à Bruxelles avec la peur d’un pays puissant européen dirigé par un prorusse.
Cela dit, le souci immédiat européen reste peu probable. Il n’y a pas encore de sondages pour le deuxième tour, mais on dirait que Monsieur Georgescu n’est pas favorisé. Ses vues ne sont pas alignées avec l’opinion publique roumaine. Par exemple, en plus de son soutien pour la Russie, il a été expulsé du parti d’extrême droite AUR à cause de sa nostalgie pour le régime fasciste roumain des années 40. En fait, c’était le candidat présidentiel d’AUR, George Simon, qui avait attendu d’avancer au deuxième tour, mais il a fini en quatrième avec 14 pour cent des voix et puis a soutenu Monsieur Georgescu dans le deuxième tour.
Pourtant, le troisième candidat, juste derrière Madame Lasconi avec 19 pour cent, a été le sortant Premier ministre socialiste Marcel Ciolacu, qui est comme elle un pro-européen. Leurs voix combinées à 38 pour cent sont supérieures à celles de Messieurs Georgescu et Simon avec 37 pour cent. Certes, tous les électeurs du socialiste Monsieur Ciolacu ne vont pas voter pour la libérale Madame Lasconi, mais on note également que le cinquième candidat avec 9 pour cent des voix est lui aussi pro-européen et a déjà donné son soutien à Madame Lasconi.
L’échec étonnant de Monsieur Ciolacu, qui avait attendu à remporter la première tour, a marqué une perte d’influence notable pour les deux grands partis roumains : ni les socialistes ni le parti traditionnel du centre-droit ont avancé au deuxième tour. Les observateurs ont souligné la corruption répandue du pays—Madame Lasconi, une centriste, est connue pour sa lutte contre la corruption—ainsi que la crise du coût de la vie qui a créé des tensions sociales, augmentée par l’impopularité forte du président sortant Klaus Iohannis.
En fait, le président roumain n’a pas beaucoup de pouvoir, qui reste principalement avec le Premier ministre. Un fait qui pouvait réconforter l’UE et l’OTAN si Monsieur Georgescu en effet gagnait le 8 décembre. Pourtant, la Roumanie a le 1er décembre ses élections législatives et on imagine que les résultats populistes de l’élection présidentielle présagent des victoires similaires dans le parlement. Par exemple, si le parti AUR de Monsieur Simon fait partie du prochain gouvernement, la posture roumaine envers la Russie pourrait changer même si Monsieur Georgescu perd la deuxième tour présidentielle.
On doit quand même se demander pourquoi un prorusse a vu un tel succès dans un pays qui soutient largement l’UE et l’OTAN. Monsieur Georgescu est connu pour ses appels populistes aux jeunes sur TikTok. Même si la jeunesse roumaine reste pro-européenne, on peut voir pourquoi les partis typiques ne sont pas populaires dans un pays qui a encore le problème de la corruption ainsi que la crise du coût de la vie. Bien sûr, l’extrémisme de Monsieur Georgescu n’est pas une vraie solution, mais si les partis traditionnels européens ne peuvent pas améliorer les conditions de la vie, on imagine que Monsieur Georgescu ne sera pas le dernier de son type.
Sources :
“Election présidentielle en Roumanie : le premier ministre pro-européen, Marcel Ciolacu, admet sa défaite,” Le Monde, le 24 novembre 2024. https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/25/election-presidentielle-en-roumanie-le-premier-ministre-pro-europeen-marcel-ciolacu-admet-sa-defaite_6412458_3211.html
“Présidentielle en Roumanie : le Premier ministre pro-européen éliminé, un candidat prorusse arrive en tête au premier tour,” FranceInfo, le 25 novembre 2024. https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/en-roumanie-un-candidat-prorusse-cree-la-surprise-a-la-presidentielle_6918044.html
Emily Atkinson and Nick Thorpe, “Far-right candidate takes shock lead in Romania presidential election,” BBC, le 25 novembre 2024. https://www.bbc.com/news/articles/c9dlw5pq967o
“Far-right populist Calin Georgescu enters Romania's presidential runoff with most votes,” Euronews, le 25 novembre 2024. https://www.euronews.com/my-europe/2024/11/25/populist-calin-georgescu-takes-surprise-lead-in-romanias-presidential-election
Nicholas Vinocur, “Romania’s far-right, pro-Russian lurch spells big trouble for EU and NATO,” Politico.eu, le 26 novembre 2024. https://www.politico.eu/article/could-romania-break-eu-and-nato-elections-russia-influence-moldova-georgia-calin-georgescu/
Laurie Fachaux, “Roumanie: quel avenir dans l’Otan si l’extrême droite pro-russe arrivait au pouvoir?” RFI, le 26 novembre 2024. https://www.rfi.fr/fr/europe/20241126-roumanie-quel-avenir-dans-l-otan-si-l-extr%C3%AAme-droite-pro-russe-arrivait-au-pouvoir