Erasmus+ : un programme avec des inégalités persistantes
Erasmus+ : un programme avec des inégalités persistantes
Depuis plus de trente ans, Erasmus+ est présenté comme l’un des symboles les plus forts de l’ouverture européenne et de la mobilité étudiante. Le programme incarne l’idée d’une Europe sans frontières, où chaque étudiant pourrait enrichir son parcours académique et personnel par une expérience à l’étranger. Pourtant, comme l’ont montré de nombreux travaux en sociologie de l’éducation et de la mobilité, cette image idéale masque une réalité bien plus contrastée. Derrière la réussite indéniable d’Erasmus+ se cachent encore des inégalités sociales, économiques et culturelles qui continuent de structurer l’accès à la mobilité. Si partir à l’étranger est souvent perçu comme une évidence pour certains étudiants, cela reste un projet difficile, voire inaccessible, pour d’autres.
1. Le frein financier : un problème toujours central
Même si la bourse Erasmus constitue une aide précieuse, elle ne couvre bien souvent qu’une partie des dépenses liées à la mobilité. Les étudiants doivent avancer des frais importants avant même leur départ : cautions de logement (souvent équivalentes à un ou deux mois de loyer), billets d’avion ou de train, assurances, frais administratifs ou encore achat de matériel spécifique. À cela s’ajoute le coût de la vie, parfois très élevé, dans certaines grandes villes européennes comme Amsterdam, Copenhague ou Barcelone. Pour les étudiants issus de milieux modestes, ces dépenses représentent un obstacle majeur. Même avec des aides complémentaires (bourse sur critères sociaux, aides régionales), le risque financier reste important. Cette contrainte peut conduire certains étudiants à renoncer à leur projet ou à choisir une destination non pas par intérêt académique, mais en fonction de critères strictement économiques. Ainsi, l’inégalité financière influence non seulement le départ, mais aussi la qualité et les conditions de l’expérience Erasmus.
2. Le niveau de langue : un filtre social discret
Bien que le programme Erasmus+ propose des outils d’apprentissage linguistique, notamment via la plateforme OLS, la maîtrise des langues étrangères demeure un frein important. Tous les étudiants n’ont pas bénéficié des mêmes conditions d’apprentissage avant l’université. Les étudiants issus de filières courtes (BTS, BUT) ou de milieux populaires ont souvent eu moins d’occasions de partir en voyage scolaire, de suivre des cours renforcés en langues ou d’effectuer des séjours linguistiques. Cette inégale exposition aux langues étrangères produit un sentiment de décalage et d’illégitimité. Même lorsque leur niveau est objectivement suffisant, certains étudiants doutent de leurs compétences et craignent de ne pas réussir à suivre les cours ou à s’intégrer dans le pays d’accueil. Le niveau de langue agit alors comme un filtre social discret mais puissant, qui favorise les étudiants déjà dotés d’un capital linguistique élevé.
3. L’autocensure : l’inégalité invisible mais décisive
De nombreux chercheurs l’ont montré : l’autocensure joue un rôle central dans les trajectoires étudiantes. Les choix d’orientation et de mobilité sont fortement influencés par ce que les étudiants estiment “possible” ou “accessible” pour eux. Dans le cas d’Erasmus+, cette autocensure prend plusieurs formes : la peur de ne pas être “assez bon” en langue, la difficulté à comprendre des démarches administratives perçues comme complexes, ou encore le manque de modèles dans l’entourage proche « personne autour de moi n’est jamais parti ». Ces obstacles invisibles sont souvent sous-estimés par les institutions, alors qu’ils constituent un frein décisif. Ils montrent que l’inégalité ne se joue pas seulement sur le plan matériel, mais aussi dans la capacité à se projeter et à se sentir légitime dans l’espace européen.
Erasmus+ reste une formidable opportunité et transforme chaque année des milliers de trajectoires étudiantes. Mais pour que la mobilité devienne une véritable chance pour tous, il est nécessaire de continuer à lutter contre les obstacles financiers, la barrière linguistique et, surtout, cette autocensure profondément ancrée qui empêche encore trop de jeunes de se projeter au-delà des frontières.
Et vous, qu'en pensez-vous ?
Bibliographie
Agence Erasmus+ France / Éducation Formation. Présentation du programme Erasmus+. https://agence.erasmusplus.fr/programme-erasmus/
Ballatore, M. (2010). Erasmus et la mobilité des jeunes européens : mythes et réalités. Paris : L’Harmattan
Ballatore, M. et Blöss, T. (2008). L'autre réalité du programme Erasmus : affinité sélective entre établissements et reproduction sociale des étudiants. Formation emploi, 103(3), 57-74. https://shs.cairn.info/revue-formation-emploi-2008-3-page-57?lang=fr.
Talbot, É. (2017). Erasmus & Mobilité internationale. Paris : Studyrama.