Diplomatie numérique et soft power européen face aux critiques américaines.

« La chasse aux sorcières de McCarthy est-elle de retour ? » se défend, en anglais, Thierry Breton sur X, ce 23 décembre 2025, contre les accusations de l’administration Trump.

En tout, ils sont au nombre de cinq, les cinq interdits de séjour aux États-Unis, les cinq accusés de censure pour leur rôle dans la réglementation numérique européenne : Thierry Breton, ancien commissaire européen ; Anna-Lena von Hodenberg et Josephine Ballon, de l’association allemande HateAid ; Imran Ahmed, directeur britannique d’un centre de lutte contre la haine numérique (Center for Countering Digital Hate) et Claire Melford, cofondatrice de l’organisation britannique Global Disinformation.

Leur tort ? Avoir activement participé à l’élaboration du Digital Services Act, entré en vigueur en février 2024 et dont l’objectif est de lutter contre les contenus illicites, de garantir la transparence en ligne et de protéger les internautes des risques.

L’élément déclencheur ? Une amende de 120 millions d’euros exigée par la Commission européenne au réseau social X pour plusieurs transgressions au Digital Services Act.

Pour les États-Unis, l’enjeu de cette réglementation est de conduire à l’invisibilisation des opinions américaines sur les réseaux sociaux et d’entraîner la disparition des avis opposés aux idées européennes, le tout bien caché sous le prétexte de limiter les dérives des contenus mis en ligne. En effet, ce mardi 23 décembre, le secrétaire d’État, Marco Rubio, a déclaré que les cinq personnes visées par l’interdiction de visa ont mené « des efforts organisés visant à contraindre des plateformes américaines à censurer, démonétiser et faire taire des points de vue américains auxquels ils s’opposent ». À cet effet, ils ont enfreint la nouvelle politique de visa américaine (mai 2025) qui permet de barrer l’accès aux étrangers accusés de censure de la liberté d’expression.

Les vives réactions de la Commission face à cette accusation illustrent des tensions croissantes entre l’Union européenne et les États-Unis au sujet de la régulation numérique. Les enjeux des tensions sur la souveraineté numérique montrent que la réglementation sur le numérique est désormais un élément de diplomatie et de soft power.

L’Union européenne utilise le numérique comme un outil d’influence dans le monde et multiplie les initiatives pour maintenir une autonomie numérique. En mars 2025, la Commission a annoncé un investissement de 1,3 million d’euros dans l’intelligence artificielle et la cybersécurité afin d’assurer sa souveraineté numérique.

Cette nouvelle cyberdiplomatie européenne s’illustre également dans des actions telles que le mois de la cybersécurité de l’UE (octobre 2025), au cours duquel se déroulent des conférences sur la question. La nouvelle stratégie ProtectEU intègre d’ailleurs la cybersécurité comme un pilier central de la sécurité intérieure de l’UE.

La stratégie européenne pour le numérique est d’utiliser la capacité à produire des normes comme un outil d’influence et de diplomatie, c’est pourquoi la régulation numérique est un point de friction avec les États-Unis. L’Union européenne doit donc se préparer à faire face à des réactions extérieures, d’autant plus qu’elle cherche toujours à intégrer davantage le numérique dans sa politique. En décembre 2025, le Conseil a pris position sur une loi visant à créer une application de voyage numérique qui consisterait à utiliser les nouvelles technologies dans la gestion des frontières.

Sources : Stefania Di Stefano et Garance Denner, « The myth of “European censorship” is wielded by the Trump administration to avoid regulating Big Tech », https://www.lemonde.fr/en/opinion/article/2025/12/26/the-myth-of-european-censorship-is-wielded-by-the-trump-administration-to-avoid-regulating-big-tech_6748855_23.html, consulté le 31 décembre 2025.

Former EU commissioner and activists barred from US in attack on European tech regulators, https://www.theguardian.com/technology/2025/dec/24/us-state-department-visa-ban-former-eu-commissioner-europe, consulté le 31 décembre 2025.

DSA : le règlement sur les services numériques ou Digital services act | vie-publique.fr, https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act, consulté le 31 décembre 2025.

Thierry Breton interdit de séjour aux États-Unis : condamnation quasi-unanime en Europe, http://fr.euronews.com/2025/12/24/thierry-breton-interdit-de-sejour-aux-etats-unis-condamnation-quasi-unanime-en-europe, consulté le 31 décembre 2025.

Fortifying Europe’s digital defences: EU Cybersecurity month and the ProtectEU Strategy - Migration and Home Affairs, https://home-affairs.ec.europa.eu/news/fortifying-europes-digital-defences-eu-cybersecurity-month-and-protecteu-strategy-2025-10-20_en, consulté le 31 décembre 2025.

Commission to invest €1.3 billion in artificial intelligence, cybersecurity and digital skills | Shaping Europe’s digital future, https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/news/commission-invest-eu13-billion-artificial-intelligence-cybersecurity-and-digital-skills, consulté le 31 décembre 2025.

Announcement of a Visa Restriction Policy Targeting Foreign Nationals Who Censor Americans, https://www.state.gov/announcement-of-a-visa-restriction-policy-targeting-foreign-nationals-who-censor-americans/, consulté le 31 décembre 2025.