Peut-on interdire une métaphore ? Régulation européenne et dénominations des produits végétariens.

Quelle ne fut pas ma surprise, lors d’un dîner de famille, de m’entendre dire que je devais absolument goûter de la tête de moine, sous peine de manquer un met d’exception ! C’est alors horrifiée que j’ai défendu mes pairs d’y toucher. Bien heureusement, il ne s’agissait que d’un fromage… Dans cette confusion, j’ai reconnu l’écueil d’une génération qui n’a de cesse d’acheter du beurre de cacahuète pour faire des kouign-amanns et de l’huile à moteur pour cuire des frites, mais surtout, des alternatives végétales pour faire des barbecues.

Au Parlement européen, le 8 octobre dernier, les agriculteurs ont exprimé leurs inquiétudes au sujet des dénominations « saucisses de pois chiches », « steaks de légumineuses », « escalopes de soja » qui représentent une concurrence déloyale envers la viande. En conséquence, le Parlement européen a adopté un texte visant à un étiquetage plus juste des substituts végétariens.

Ce 10 décembre, le texte, qui doit encore être adopté par le Conseil des ministres et approuvé par la Commission européenne, a fait l’objet de discussions à Bruxelles. Toutefois, entre les eurodéputés et les États membres, aucun accord n’a encore été trouvé.

À l’heure où fleurissent les études de marketing et de communication, il semble toutefois légitime de questionner ces supposées impropriétés. Notre génération est-elle poète ou abuse-t-elle du langage pour tromper le consommateur ? Dans quelle mesure l’Union européenne peut-elle réellement interdire une métaphore ?

Côté producteur, le constat est clair : ces appellations sont des menaces objectivement trompeuses. Juridiquement, l’Union européenne est compétente pour réglementer l’étiquetage des produits afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et dans le but de protéger le consommateur.

En 2017, la société allemande TofuTown, qui distribue des aliments végétariens, a été attaquée en justice par une association de lutte contre la concurrence déloyale, le « Verband Sozialer Wettbewerd ». La Cour de justice de l’Union européenne a pris la décision de définir juridiquement les termes « lait », « fromage », « yaourt » et « crème » qui, d’ores et déjà, ne peuvent désigner que des produits d’origine animale. Dès lors, les « laits d’avoine » et « yaourts de coco » ont déserté les rayons pour laisser place à de nouvelles périphrases comme « boisson de soja » ou « dessert végétal ».

En revanche, il n’en est rien des produits carnés, dont les discussions sur les appellations possibles sont en débat. Sans définition juridique spécifique, l’Union européenne ne peut pas légiférer sur leur dénomination.

Comme le défendent les associations qui s’opposent à cette législation, les termes « steak », « saucisse » et « escalope » peuvent désigner aussi une apparence, un usage culinaire, un goût, et non seulement une origine animale. Cette guerre des mots pose également la question de la liberté d’expression commerciale. En effet, le cadre européen de l’étiquetage (règlement 1169/2011) est déjà censé assurer une information non trompeuse, notamment si l’étiquette renseigne bien sur la provenance végétale des ingrédients. En outre, les gouvernements nationaux ne peuvent pas interdire seuls ces appellations, sous peine de porter atteinte au principe général de libre circulation des biens (Article 34 TFUE).

Ce sont donc toutes ces questions de définition et de législations qui se jouent et se joueront dans les débats au Conseil de l’Union européenne en 2026. Pour interdire l’utilisation commerciale de ces métaphores carnées, l’Union européenne doit démontrer des preuves d’une concurrence déloyale contre les producteurs de viande. Si cet argument peut sembler absurde aux yeux des consommateurs végétariens, il faut aussi replacer la colère et la peur des agriculteurs dans le contexte de la procédure de signature du traité du Mercosur qui, lui, fait très certainement de l’ombre aux produits européens.

Sources : Vincent Lequeux, Fini le « steak végétal » ?, https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/fini-le-steak-vegetal/, consulté le 31 décembre 2025. Emmanuelle Oesterlé, Vendre du «lait de soja» ou «du fromage de tofu» est désormais interdit, https://www.lefigaro.fr/societes/2017/06/15/20005-20170615ARTFIG00010-vendre-du-lait-de-soja-ou-du-fromage-de-tofu-est-desormais-interdit.php, consulté le 31 décembre 2025.

« Burger veggie », « steak végétal »... Les appellations des produits végétariens imitant la viande en sursis dans l’UE après l’échec des négociations, https://www.franceinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/burger-vegetarien-steak-vegetal-les-appellations-des-produits-vegetariens-imitant-la-viande-en-sursis-dans-l-ue-apres-l-echec-des-negociations_7670758.html, consulté le 31 décembre 2025.

Les députés appuient les changements renforçant la position des agriculteurs | Actualité | Parlement européen, https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20251006IPR30735/les-deputes-appuient-les-changements-renforcant-la-position-des-agriculteurs, consulté le 31 décembre 2025.

Regulation (EU) No 1169/2011 of the European Parliament and of the Council of 25 October 2011 on the provision of food information to consumers, amending Regulations, http://data.europa.eu/eli/reg/2011/1169/2025-04-01, consulté le 31 décembre 2025.